ETAPE II : DIFFUSION DU MESSAGE SUR LA SOUVERAINETE, LA DEMOCRATIE ET L’ISLAM
Les Américains ont mis plusieurs mois à se rendre compte de l’importance de Sistani, Il a fait face à l’Autorité temporaire de la coalition (ATC) à plusieurs occasions, en commençant par la promulgation de sa fatwa du 25 juin 2003, aujourd’hui célèbre, par laquelle il a dénié à l’ATC toute légitimité pour rédiger la Constitution33. Il a finalement obtenu gain de cause, les Etats-Unis ont dû accepter le retour de l’ONU en Irak, et ses commentaires sur la Loi administrative transitoire (LAT).
La dynamique de la renaissance Chiite en Irak .
Ne bloquant jamais ou insistant sur des positions peu réalistes, il a, par exemple, accepté la tenue d’élections pour l’Assemblée Nationale alors qu’il ne le voulait pas au début. La tenue des élections du 30 janvier 2005 était donc un succès pour lui même et pour les Américains. Sistani laissera la politique quotidienne aux politiciens de l’Alliance irakienne unifiée victorieuse, mais co-rédigera certainement la future Constitution de l’Irak et s’assurera aussi que les voix des sunnites soient entendues. (Un autre coauteur ou même le principal rédacteur seront les Etats Unis). La relation entre l’Etat et l’Islam constituera l’un des problèmes essentiels lors de la rédaction de la Constitution. Il sera intéressant de voir quelle terminologie sera mise en oeuvre pour qualifier le nouvel Etat, puisque n’importe quelle expression mettant côte à côte les termes « république islamique » et l’Irak (comme le Pakistan et récemment l’Iran) seraient inacceptables pour les Américains. Mais le terrain pour l’islamisation de l’Irak a été déjà mis en place au lendemain de la chute de Saddam Hussein quand les groupes chiites ont comblé la vacance du pouvoir alors qu’il était évident dès le début que Sistani et ses partisans avaient une vision islamique pour l’Irak qu’ils n’abandonneront jamais. L’Islam va devenir la source de législation, comme cela a déjà été affirmé dans les conclusions finales de la conférence commandité par les Etats-Unis à Londres en décembre 2002: « Al-Islam masdar al-tachri’ » (l’Islam est la source de la législation). Les traductions officielles ont essayé de dissimuler cette déclaration certainement islamiste en employant des termes moins dérangeants pour les oreilles occidentales laïques. Après les élections du 30 janvier 2005, un porte-parole de la Hawza réitéra que l’Islam devrait être consacré comme base à la législation dans la Constitution et d’autres
sources proches de Sistani mirent en garde les officiels « contre la séparation
de l’Etat et de la religion ». Comme l’a défini la mardja’iyya, Sistani n’aura aucun problème avec un gouvernement séculier qui n’agit pas contre l’Islam. Le clergé ne régnera pas en Irak, mais insistera sur la conformité légale des lois et Sistani s’attend à ce que n’importe quel futur gouvernement observe ses fatwas sur les questions sociales. Cette position est très similaire à celle proclamée dans la Constitution iranienne de 19.06.37. Son éducation et sa lignée spirituelle (Khoei,Borujerdi) confirmeraient cette hypothèse. Cela ne signifie pas que Sistani rejette la démocratie, deuxième source de sa vision politique pour l’Irak. Les élections libres et justes par le peuple devraient avoir comme conséquence un parlement pluraliste et représentatif, ce qui inclut des minorités ethniques et religieuses. Mais on doit se demander si la mardja’iyya et les islamistes chiites simplifient le concept de démocratie : règle de la majorité et le peuple comme source de pouvoir et de législation, dans les deux cas le résultat serait le même, les chiites régneront puisqu’ils constituent la majorité et tiendront donc les rênes du pouvoir. « Comme corollaire à la démocratie, les islamistes domineront naturellement » écrit Faleh Abd al–Jaber « le pluralisme est-il en faveur des droits civiques et humains ». Néanmoins Sistani semble avoir un intérêt particulier pour la démocratie et les résultats des élections obligent la liste irakienne unie à trouver des alliés, à réaliser des compromis et à coopérer avec toutes les parties.
En même temps Sistani et d’autres représentants cherchaient des alliances avec les Kurdes et les Sunnites et avaient déclaré leur bonne volonté pour coopérer. Comme pour les élections, Le soutien moral de Sistani au gouvernement pendant la rédaction de la Constitution est crucial. Inutile de dire que le gouvernement ne serait ni anti-clérical ni ne manifesterait une volonté de décréter une législation contraire à l’Islam.
ETAPE III : GAGNER DU TERRAIN
Théologiquement, le rôle apolitique que Sistani envisage pour le clergé ne touche naturellement pas à la question d’autorité ni à celle de ses confrères. Ce rôle, cependant, permet au clergé du rang inférieur d’occuper des postes politiques. Ceci s’applique à Muqtada Sadr et Abdul Aziz Hakim sur qui Sistani n’a de toute façon aucun moyen d’arrêter les activités politiques. Mais concernant Nadjaf et la Hawza al-Ilmiya, Sistani est assuré que le jeu est fait par les règles de la mardja’iyya et non par celles de Muqtada ou de Téhéran. Par conséquent, la seule vraie menace pour lui demeure Muqtada Sadr, qui, semble coopératif au moins pendant un certain temps.
Il s’est avéré que ni Najaf ni Téhéran n’ont intérêt à exploiter les divergences politico-religieuses relatives au système de la république islamique. Pourtant Téhéran ou des personnalités qui lui sont proches ont tenté d’avoir une plus grande influence sur la Hawza de Nadjaf qui regroupe les cinq plus grands Ayatollah installés en Irak. Seul Ayatollah Muhammad Baqir-al Hakim, qui a été accueilli par des milliers de ses disciples à son retour en Irak, a failli réussir en ce sens. Muhammad Baqir a été personnellement choisi par Khomeiny pour diriger la révolution islamique en Irak au moment opportun et il a accepté le système iranien du velayat-efaqih. Cependant, en mai 2003, Hakim a
pris ses distances vis-à-vis du système iranien et rejoint la Hawza en tant que professeur pour prétendre au rang de mardja et Grand Ayatollah mettant la conduite du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak aux mains de son plus jeune frère Abdul Aziz. Sa mort horrible en août 2003 a fait oublier la signification de cet acte. Hakim était un proche ami et un grand partisan du Chef suprême Ali Khamenei vis-àvis de qui, il se posait en émule. En introduisant les principes du système iranien à l’école de Najaf sa popularité chuta en Irak. D’autre part, ce sera le prix à payer pour Téhéran pour placer un fin connaisseurs des affaires iraniennes au sein de la Hawza.
En même temps, Téhéran a tenté d’exercer une emprise sur Muqtada Sadr. Le grand Ayatollah Kazim Al-Haeri a déclaré par exemple que les fatwas de Muqtada avaient la même valeur que celles de n’importe quel vénéré Ayatollah. Le raisonnement qui sous-tend ce mouvement était double : l’emprise de Téhéran sur Muqtada, qui n’est qu’un religieux mineur, devait permettre à Al-Haeri de disposer d’une certaine base de pouvoir en Irak et jouir d’un soutien pour rejoindre la Hawza. Néanmoins Haeri et Muqtada sont tombés en disgrâce et le rapport entre Al-Haeri, natif de Nadjaf et qui semble être un des grand Ayatollahs et la Hawza ne s’est pas entièrement clarifié.
Muqtada Sadr, comme son père avant lui, soutient ouvertement le principe du velayat-e faqih bien qu’il doute qu’il accepterait Khamenei en tant que chef suprême. La tendance xénophobe de Muqtada qui inclut les Iraniens et tous les non Arabes et non Irakiens et même les exilés irakiens en général, serait surprenante. Peu après l’invasion de l’Irak, Muqtada a menacé Sistani à cause de son origine iranienne et l’aurait certainement
expulsé d’Irak sans l’intervention des membres armés des tribus sympathisantes. Muqtada aurait été également été impliqué dans le meurtre
de Majid Al-Khoei dans la mosquée de Nadjaf. Les partisans de Muqtada ont tenté de prendre en main l’administration de la mosquée, la tombe de l’Imam Ali et le somptueux trésor de la mosquée. La seconde tentative non planifiée organisée pour faire main basse sur ces lieux saints de l’Islam chiite a été déclenchée par Paul Bremer qui a fermé le journal de Muqtada et déclaré (dans un langage proche de Saddam Hussein) « to go after him ».
Le siège de quatre mois de Nadjaf en été 2004 par l’armée d’Al-Mahdi de Muqtada, finalement expulsée par les troupes américaines, était un succès total - pour Sistani qui devait subir un traitement médical à Londres et retourner opportunément signer et sceller un contrat de coopération avec Muqtada. Cela permit aux troupes américaines de venir, au lieu des tribus arabes, restaurer l’autorité de Sistani à Nadjaf.
(Le mandat d’arrêt contre Muqtada est tombé entre temps dans l’oubli).
C’était le dernier défi à l’autorité de Sistani, qui est bien avisé de ne pas chercher trop d’influence et de garder le cap sur une Mardjaîya apolitique, afin que les fidèles acceptent la supériorité spirituelle et théologique de Sistani, mais qui lorgnent vers Muqtada s’agissant du leadership politique5. Les partisans de ce dernier ont à plusieurs reprises exprimé leur mécontentement quant au comportement des Ayatollahs durant la crise de l’été 2004, mais sans évoquer le nom de Sistani.
Le cadre des chiites irakiens a été défini comme placé entre les deux pôles des radicaux de la classe inférieure de Muqtada et par les vieilles institutions honorables du haut clergé de Sistani. Sistani doit maintenir ses relations avec Muqtada mais doit aussi prendre en compte les Américains et l’Iran.