Entretien avec Hossein Khomeiny : POUR EN FINIR AVEC LA REPUBLIQUE ISLAMIQUE D'IRAN
Entretien avec Hossein Khomeiny
POUR EN FINIR AVEC LA REPUBLIQUE ISLAMIQUE D'IRAN
Cet entretien a été conduit
par Nasser Etemadi
Nasser Etemadi - Que ressentez-vous en retrouvant un Irak débarrassé de Saddam Hussein ?
Hossein Khomeiny - Je suis effectivement rentré en Irak cet été, principalement pour y accomplir les pèlerinages des saints mausolées de Nadjaf et de Kerbala.
Comment pourrais-je oublier que j'ai grandi dans ce pays et que j'ai été témoin des exactions du régime baasiste ? Je connaissais son caractère violemment répressif. Malheureusement, le monde entier - y compris le régime islamique iranien - a gardé le silence sur l'ampleur de la terreur. Pis encore : on a souvent nié l'existence même des atrocités commises par Saddam et ses sbires !
Il faut le dire clairement même si ce n'est pas à la mode : pour le peuple irakien, la chute de ce régime représente une sorte de don divin. Car personne ici n'imaginait que Saddam Hussein pût partir ! La peur et le désespoir avaient envahi les esprits, à un point tel qu'il était fréquent d'entendre, en Irak, qu'"après Saddam, on verrait l'arrivée au pouvoir de ses fils puis de ses petits-fils"...
N. E. - Pensez-vous sincèrement que les Irakiens considèrent l'intervention qui a renversé Saddam comme un " don des cieux " ?
H. K. - Absolument ! Au plus profond de leur âme, ils sont heureux d'être enfin débarrassés de l'ancien régime, ils apprécient la nouvelle donne et chérissent la liberté qui leur a été offerte. Naturellement, il faut aussi qu'ils aient accès aux services les plus élémentaires : les gens souffrent beaucoup de la pénurie d'eau et d'électricité ainsi que de la désorganisation de divers secteurs - avant tout de celui de la santé. Mais ne vous méprenez pas : les Irakiens, je le répète, éprouvent infiniment de gratitude envers ceux qui les ont libérés de la tyrannie.
N. E. - Selon vous, la coalition anglo-américaine a-t-elle de bonnes chances de mettre en place, à terme, une réelle démocratie en Irak ?
H. K. - En dépit des apparences et des grandes difficultés rencontrées au jour le jour, il règne à ce sujet, dans tout le pays, un réel optimisme. Ce qui est sûr, c'est que personne, en Irak, ne souhaite un retour en arrière !
N. E. - J'avoue que j'ai du mal à comprendre ce qui motive un tel optimisme alors que, plusieurs mois après la chute de Saddam Hussein, la situation ne cesse de se dégrader...
H. K. - Si vous dites à des Irakiens que leur pays subit une " dégradation de la situation ", on vous rétorquera immédiatement : " Une dégradation par rapport à quelle époque ? Celle des charniers de Saddam ? De ses génocides ? De ses guerres abominables, de toutes ses folies qui avaient condamné un peuple entier à la misère et à l'esclavage ? " En vérité, aussi critique que soit la conjoncture actuelle, elle n'est jamais que la conséquence prévisible d'un bouleversement politique majeur. Certes, l'instabilité politique est telle que l'Irak semble vivre une transition particulièrement difficile. Mais " crise " ne signifie pas " impasse " ! Au contraire : c'est généralement dans les crises que s'ébauchent les issues à des situations complexes. C'est pour cette raison que les habitants sont optimistes : à présent qu'il est débarrassé de Saddam, l'Irak ne peut qu'aller mieux !
N. E. - C'est possible. Reste que l'intervention de la coalition pose une grave question : en vertu de quelle vérité supérieure un ou plusieurs pays devraient-ils se permettre, au mépris de la légalité internationale, de renverser par la force le régime d'un Etat tiers, avec toutes les conséquences douloureuses qu'une telle opération implique pour la population locale ?
H. K. - Permettez-moi de répondre à votre question par une autre question : est-il encore possible - et en vertu de quoi ? - de vivre dans un monde où le droit ne peut rien face aux crimes politiques et aux désastres humanitaires ? Vous semblez plaider en faveur du " droit international ". Mais ne pensez-vous pas que ce droit a été détourné de sa mission originelle ? Aujourd'hui, la " légalité internationale " ne représente rien d'autre que le cri de ralliement de tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, s'opposent à ce qu'on appelle l'unilatéralisme américain. En réalité, si le droit international a été privé de son sens véritable, c'est surtout à cause des changements survenus à l'échelle planétaire - avec l'avènement, le 11 septembre 2001, du phénomène du terrorisme international et l'impunité constante des Etats qualifiés de " voyous " - et non en raison du " militarisme américain ". Il est indéniable que celui-ci connaît un nouvel élan ; mais c'est là une conséquence directe - et non une cause ! - de l'inefficacité du droit international et du discrédit de l'ONU, qui est pourtant censée l'incarner...
A mon sens, cette évolution remonte à bien avant le 11 septembre 2001. Mais ce sont les guerres conduites sous l'égide des Etats-Unis après cette date qui ont révélé aux yeux du monde l'inefficacité de ce fameux droit international. Du reste, il me semble difficile d'en parler sans évoquer ce qui le sous-tend par définition, à savoir les différentes chartes et déclarations universelles des droits de l'homme. Or, ces textes sont, eux aussi, restés lettre morte pour nombre d'Etats qui en sont les signataires. Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler que ces chartes et déclarations reposent sur l'affirmation d'un droit inaliénable : celui de la résistance à l'oppression. Aujourd'hui, alors que les institutions internationales sont paralysées, comment est-il possible de faire appliquer ce droit fondamental ? Comment combattre l'oppression dans des pays soumis à la brutalité de régimes répressifs ? Comment permettre à leurs citoyens de parvenir à la démocratie et à une vie décente ?
N. E. - J'insiste : l'emploi de la force militaire peut-il suffire, à lui seul, pour restaurer le droit bafoué par des dictatures ?
H. K. - Il est bien évident que, sans loi pour l'encadrer, la force est dangereuse : elle porte en germe le règne de l'arbitraire. Mais sans force pour l'imposer, la loi est impuissante : elle ne peut s'opposer au chaos.
Quant à savoir si l'action de la coalition était justifiée ou non, la réponse varie selon la perspective que l'on adopte. Personnellement, je considère que, même sans tenir compte des arguments officiellement invoqués pour déclencher la guerre, le renversement d'un dictateur comme Saddam représentait, en soi, une raison largement suffisante pour justifier l'intervention anglo-américaine en Irak. Curieusement, cet aspect des choses n'a été que très peu évoqué à l'heure d'expliquer aux opinions publiques du monde entier pourquoi il était nécessaire d'abattre le régime de Bagdad. Toujours est-il qu'en matière de droit, c'est une nouvelle époque qui a commencé avec la chute de Saddam Hussein...
N. E. - Mais l'Irak connaît le chaos !
H. K. - Je ne parlerais pas de " chaos ". Il s'agit plutôt d'attentats et d'actes terroristes qui peuvent se produire à Nadjaf comme ils pourraient se produire - et se sont produits - à New York.
N. E. - Il reste que les attaques contre les forces de la coalition et les opérations de sabotage contre les infrastructures du pays sont devenues quasi quotidiennes...
H. K. - C'est vrai. Leurs instigateurs souhaitent, pour des raisons politiques, donner à ces actions le plus grand retentissement possible, ce qui explique le côté très spectaculaire de certaines d'entre elles. Tous ces attentats sont commis dans un seul but : torpiller la stabilisation de l'Irak et faire revenir le pays en arrière. Autant de coups d'épée dans l'eau, donc, car la population irakienne est prête à tout sauf, précisément, à opérer un retour en arrière !
N. E. - D'après vous, qui sont les commanditaires de ces attaques ?
H. K. - Le spectre de ceux qui souhaitent ébranler la reconstruction du pays est large : il va de Saddam (s'il est encore vivant) et de ses mercenaires (baasistes ou non) jusqu'à certains Etats dictatoriaux de la région qui voient en l'émergence d'un Irak stable, prospère et démocratique une menace pour leurs régimes déjà chancelants.
N. E. - Précisément : dès la chute de Saddam Hussein, vous vous êtes empressé d'appeler de vos vœux le renversement du régime islamique iranien au nom de la liberté et de la séparation de l'Etat et de la religion. Pourquoi tant de hâte ?
H. K. - Je ne vous surprendrai pas en répondant que le fondement de ma démarche est d'ordre religieux. Je m'appuie sur des textes islamiques selon lesquels nul musulman, excepté les saints innocents, ne doit se mêler du gouvernement des choses. Or le temps des saints innocents est révolu ; dès lors, parler de gouvernement islamique est impossible et vouloir en créer un est, tout simplement, une imposture ! En outre, pour nous, les chiites, la fin du temps des saints innocents revêt une dimension particulière : vous n'êtes pas sans savoir que le chiisme comporte un aspect messianique. Selon notre foi, le religieux doit rester à l'écart du politique jusqu'à la venue du douzième Imam - l'Imam caché (hazrat-é hojjat). Par conséquent, j'insiste sur ce point : toute tentative du clergé visant à former un gouvernement est inacceptable.
N. E. - En adoptant cette position, vous contestez un modèle politique qui a été théorisé et fondé par votre propre grand-père, l'ayatollah Khomeiny !
H. K. - Rares sont ceux, parmi les dignitaires chiites, qui défendent l'idée de gouvernement islamique. A mon avis, l'ayatollah Khomeiny n'aurait pas pu imposer sa doctrine politique à la société iranienne, il y a vingt-cinq ans, s'il n'avait pas été à la tête d'un grand mouvement de masse. Tout n'est pas négatif dans ce bouleversement. Au terme du processus, on s'apercevra, en effet, que l'expérience de la théocratie iranienne aura imperceptiblement poussé le clergé à mieux réfléchir à son rôle dans la cité. Il est même possible que ce soient justement les réflexions des religieux chiites iraniens des années 1980-1990 qui, au final, auront abouti à saper définitivement toute théorie de gouvernement islamique ! Plongés dans l'étude et dans l'exégèse, certains clercs en sont venus à cette conclusion : un gouvernement islamique devant être, par définition, un gouvernement divin, seul un homme divin serait à même d'exercer le pouvoir. Et comme il ne peut y avoir d'homme divin sur Terre, l'idée de gouvernement islamique est irrecevable.
N. E. - Les dirigeants iraniens ne justifient-ils pas leur présence au sommet de l'Etat en se déclarant gardiens de la loi divine en ce monde et en identifiant leur sainteté à celle de Moïse et de Jésus ?
H. K. - Cette justification est contraire à l'enseignement de l'islam en général et du chiisme en particulier. Même une centaine d'ayatollahs Khomeiny ne sauraient être placés sur un pied d'égalité avec un seul saint innocent ! C'est un blasphème que de vouloir se comparer à Abraham, à Jésus et à Moïse. Encore une fois, de telles affirmations n'auraient pas été émises si l'ayatollah Khomeiny n'avait pas imposé son autorité dans une effervescence révolutionnaire qui l'a quelque peu grisé, lui et son entourage.
N. E. - Les clercs qui partagent cette opinion sont-ils nombreux ?
H. K. - Evidemment, on ne peut rien espérer de ceux d'entre eux qui sont au pouvoir. Mais la majorité des clercs des écoles religieuses (hozeh) sont du même avis que moi, même si, aujourd'hui, ils préfèrent garder le silence - soit par dépendance vis-à-vis des autorités, soit par crainte de persécutions. Vous verrez : le jour où cette dépendance et cette crainte disparaîtront, nombreuses seront les voix qui s'élèveront pour dénoncer l'illégitimité du gouvernement islamique.
N. E. - Outre la séparation de l'Etat et de la religion, ainsi que le respect des droits de l'homme, vous réclamez, depuis que vous êtes revenu en Irak, l'organisation d'un référendum visant à faire passer l'Iran de la République islamique à un autre type de régime. Ne trouvez-vous pas qu'il existe une certaine concordance entre vos propositions et celles du fils de l'ancien Shah, Reza Pahlavi ?
H. K. - La réalité est que l'Iran se trouve dans une impasse totale. Pour la population, l'avenir est, plus que jamais, incertain. Personne n'est en mesure de prévoir de quoi demain sera fait. Pour de très nombreuses personnes, la seule issue envisageable - et encore ! - consiste à fuir le pays. Doit-on laisser les Iraniens dans le désespoir ? Doit-on admettre qu'ils soient privés d'avenir ? Il est bien évident que non.
Dans ce contexte, la position du régime semble très fragile. Il est en permanence confronté à la résistance et à l'hostilité de la société civile ainsi qu'à diverses pressions internationales. Le pouvoir, pas plus que la population, n'est en mesure de prévoir quoi que ce soit. Encore récemment, il parvenait tant bien que mal à conduire une politique au jour le jour, dépourvue, bien entendu, de toute perspective ou stratégie définie. Aujourd'hui, c'est chaque heure que l'Etat change d'orientation !
Pour sortir de cette impasse, il ne reste qu'une solution : l'organisation d'un référendum par lequel le peuple se prononcera sur le maintien ou le rejet de la République islamique en Iran. Si son résultat se révélait favorable au régime, la République islamique, dotée du soutien de son peuple, ne souffrirait plus de sa crise d'illégitimité actuelle. Mais dans le cas inverse, on assisterait à un changement majeur. Je ne doute pas que ce changement serait pacifique et que les dirigeants actuels pourraient continuer à vivre honorablement en Iran sans avoir à craindre de subir le triste sort de la plupart des dictateurs déchus.
N. E. - Vous n'avez toujours pas déclaré si vous jugiez opportun, dans la perspective d'un tel référendum, de mettre en place une large alliance des forces politiques iraniennes...
H. K. - Chaque chose en son temps. La formation d'une telle alliance serait, en soi, un acte positif. Reste que, d'un point de vue légal, l'organisation de cet éventuel référendum est du ressort du Guide suprême de la révolution islamique, Ali Khamenei. C'est pourquoi je lui ai adressé une lettre dans laquelle je lui ai demandé de donner son accord pour l'organisation de cette consultation.
N. E. - Et si sa réponse se révélait négative, comme l'a été celle du président iranien, Mohammad Khatami, lequel a accusé de trahison ceux qui, dans son propre camp, avaient souhaité la tenue d'un référendum sur la réforme de la Constitution ?
H. K. - Eh bien, dans ce cas, les dirigeants iraniens devront assumer la responsabilité de leur refus.
N. E. - Qu'entendez-vous par là ?
H. K. - Qu'ils n'auront d'autre choix que d'affronter - avec toutes les conséquences que cela suppose - l'hostilité de toute une société qui, ne voyant pas d'issue pacifique à la crise d'illégitimité du régime iranien, se lancera très vraisemblablement dans une révolution pour le destituer. D'ailleurs, les pressions internationales - et, avant tout, celles des Etats-Unis - à l'endroit du régime islamique semblent de plus en plus aller dans ce sens.
N. E. - Vous proposez d'organiser ce référendum afin de décider de l'avenir de la République islamique. Mais pourquoi ne dites-vous rien sur la nature du régime politique qui devra, le cas échéant, prendre la place du régime actuel ?
H. K. - Tout simplement parce qu'il faut, d'abord, savoir si le peuple souhaite ou non vivre sous la République islamique ! Dans le cas où, à l'issue d'une consultation démocratique, la réponse à cette question serait négative, je serais, vous vous en doutez, favorable à l'instauration d'un Etat laïque, pluraliste et respectueux de l'individu.
N. E. - Il est difficile de parler de l'impasse politique en Iran sans évoquer le " mouvement réformateur " qui s'est manifesté sous la présidence de Mohammad Khatami. Quel bilan dressez-vous de son action ?
H. K. - Jusqu'à l'élection de Mohammad Khatami, la majorité de la population ne participait plus depuis longtemps aux différents scrutins organisés par le pouvoir. Les élections étant taillées sur mesure pour conforter le régime, un discrédit total frappait l'ensemble du système politique. La victoire de Khatami en mai 1997 a signé le début d'une véritable implication du peuple dans la vie politique. Les Iraniens acceptèrent d'oublier toutes les amertumes du passé, de mettre de côté l'hostilité qu'ils éprouvaient envers les autorités et de leur tendre une main fraternelle. Malheureusement, toutes leurs initiatives et toutes leurs manifestations de bonne volonté ont été, une nouvelle fois, foulées aux pieds par une minorité de dirigeants. Ces conservateurs ont réussi à vider de tout contenu le mouvement réformateur et à faire de Khatami un " homme sans qualités ". Les forces réactionnaires ont eu gain de cause et le bilan de la rénovation tient en un seul mot : échec.
N. E. - Cet échec signifie-t-il que le régime islamique est irréformable ?
H. K. - Ce qui est sûr, c'est qu'il ne lui reste qu'un seul moyen de prouver qu'il est réformable : accepter d'organiser ce fameux référendum sur le maintien ou le rejet de la Révolution islamique ! En clair : le pouvoir doit se soumettre au jugement de ses citoyens par le biais d'une consultation libre et démocratique. Aujourd'hui plus que jamais, la société iranienne aspire à donner vie au projet d'une véritable démocratie. La tâche du monde libre consiste à aider les Iraniens à réaliser ce rêve.
N. E. - Mais le " monde libre " - ou, du moins, la France et une bonne partie de l'Europe - a conduit, depuis la Révolution islamique, une politique ambiguë à l'égard du régime iranien. Plusieurs pays ont ménagé Téhéran d'abord au nom du " dialogue constructif ", puis sous prétexte de soutenir les réformateurs contre les conservateurs. Cette politique a-t-elle contribué à la réforme et à la démocratisation de la société iranienne ?
H. K. - Il fut un temps où, dans l'imaginaire de l'Iran et d'autres pays de la région, la France et l'Europe étaient associées à la démocratie. A présent, une perception beaucoup moins idéaliste s'est substituée à cette représentation positive. Nombreux sont ceux qui considèrent que la France et l'Europe déterminent leur politique étrangère en fonction de calculs d'épicier. Une attitude qui, vous vous en doutez, nuit aussi bien aux intérêts de l'Europe au Moyen-Orient qu'aux efforts déployés par les Iraniens pour parvenir à la démocratie.
Dernier exemple en date de ce type d'approche : la position française à l'égard de la guerre en Irak. Peu importe ce qu'en disent les hommes politiques de Paris. Leur enthousiasme pour la " légalité internationale " n'a pas trompé les Irakiens. Ils y ont vu une manière pour la France de soutenir une nouvelle fois Saddam Hussein, comme elle l'avait déjà fait à maintes reprises par le passé. L'indulgence de nombreuses chancelleries occidentales envers le tyran de Bagdad aura été une terrible erreur : il faudra encore des années pour que la communauté internationale prenne pleinement conscience de l'ampleur des crimes commis par Saddam contre sa population.
N. E. - Comment l'opinion publique iranienne réagirait-elle si, d'aventure, la France maintenait sa très indulgente ligne de conduite actuelle envers le régime de Téhéran ?
H. K. - Je le répète : il faudra des années pour que la France parvienne à effacer de la conscience collective des Irakiens l'effet très négatif de son comportement lors de la libération de leur pays. Inutile de dire que si la France s'avisait de commettre la même erreur à l'égard du régime islamique iranien, son image dans la région ne ferait que se détériorer encore davantage : tout comme les Irakiens, les Iraniens ne seraient pas facilement disposés à l'exonérer de cette complaisance coupable.
N. E. - Vous avez qualifié de " libération " l'intervention anglo-américaine en Irak. Vous êtes même allé jusqu'à ajouter que vous accueilleriez avec joie une intervention similaire en Iran si elle aboutissait à la libération de ce pays. Pourquoi ?
H. K. - Parce que l'Iran souhaite être libéré et que c'est seulement dans la liberté qu'il sera à même de résoudre toutes les difficultés auxquelles il est confronté. La liberté importe aux Iraniens encore plus que leur pain quotidien ! Ils la souhaitent à un tel point qu'il est devenu accessoire, aujourd'hui, de se demander comment elle sera obtenue dans les faits.
N. E. - Dans cette perspective, quel rôle envisagez-vous pour vous-même ?
H. K. - Je souhaite contribuer à rassembler les forces et les initiatives allant dans le sens de la création d'un Etat laïque et démocratique. Il est impératif de faire en sorte que l'ensemble de la société iranienne puisse opérer un véritable choix politique. Je le répète avec force une dernière fois : il est urgent d'organiser un référendum pour dire oui ou non à la République islamique d'Iran.
pi n° 101 - automne 2003