Pourquoi cache-t-on le testament des Grecs anciens relatif à leurs sources d’inspiration intellectuelles ? Ceux qui disent aimer la philosophie devraient aussi apprendre à aimer ses sources.
1- Le dogme eurocentriste de l’origine grecque de la philosophie
La plupart des manuels occidentaux font du « nombrilisme » historiographique : nous et nous seuls ! Toute idée de collaboration internationale ou de diffusion de savoir entre peuples à l’époque antique est abordée en filigrane et pas question de développer cet aspect de l’histoire de l’humanité.
Alors à ce petit jeu pervers, voilà le berceau originel de la pensée philosophique mondiale
arbitrairement greffé en Europe. La Grèce serait donc l’épicentre de cette « nouvelle » dynamique intellectuelle vers une période historique s’étalant entre le VIè et le Vè siècle avant J-C.
ACTEURS GRECS
Certains historiens n’hésitent d’ailleurs pas à y voir un avènement de la raison dans le monde, voire une
invention européenne de la raison et plus globalement, de la pensée. De fait, la définition même de la philosophie s’en trouve profondément erronée et malheureusement appauvrie... En guise d’exemples, prenons quelques déclarations tirées de divers ouvrages. Ainsi, emporté par son élan eurocentriste, l’historien de la philosophie François Châtelet déclare ceci [
1] :
"
Je crois qu’on peut parler d’une invention de la raison. Et pour comprendre comment la philosophie a pu surgir comme genre culturel nouveau, je choisirai de me référer à une situation privilégiée : la Grèce classique. Ce n’est pas que je crois que toute philosophie soit grecque. Mais il est clair que la Grèce a connu, pour des raisons contingentes, historiques, des événements tels que des hommes ont pu faire apparaître ce genre original qui n’avait pas d’équivalent à l’époque ».
Ainsi, la philosophie serait encore selon Hegel, mais aussi Heidegger,
une invention spécifiquement et proprement européenne (sic). A ce titre, dans une conférence célèbre faite à Cérisy-la-Salle (Normandie) en Août 1955 sur le thème «
Qu’est-ce que la philosophie ? », le philosophe allemand Martin Heidegger (1889-1976) a donné la définition suivante :
«
Le mot philosophia nous dit que la philosophie est quelque chose qui, d’abord et avant tout, détermine l’existence du monde. Il y a plus : la philosophia détermine aussi en son fond le cours le plus intérieur de notre histoire occidentale-européenne. La locution rebattue de « philosophie occidentale-européenne » est en vérité une tautologie. Pourquoi ? Parce que la « philosophie » est grecque dans son être même ; grec veut dire ici : la philosophie est dans son être originel, de telle nature que c’est d’abord le monde grec et seulement lui qu’elle a saisi en le réclamant pour se déployer... La philosophie est grecque dans son être propre ne dit rien d’autre que : l’Occident et l’Europe sont, et eux seuls sont, dans ce qu’a de plus intérieur leur marche historique, originellement « philosophiques ».
C’est ce qu’attestent la naissance et la domination des sciences. C’est parce qu’elles prennent source dans ce qu’a de plus intérieur la marche historique de l’Occident européen, entendons le cheminement philosophique, c’est pour cela qu’elles sont aujourd’hui en état de donner à l’histoire de l’homme sur toute la terre l’empreinte spécifique. [...] La langue grecque n’est pas simplement une langue comme les langues européennes en ce qu’elles ont de bien connu. La langue grecque, et elle seule, est logos » M. Heidegger, « Qu’est-ce que la philosophie ? », [
2].
PLATON & ARISTOTE Pour le philosophe africain
Yoporeka Somet [
3], ce que veut dire ici Heidegger au sujet de la langue grecque, c’est qu’elle est la seule
(parmi les langues européennes et à plus forte raison parmi les langues du monde) à pouvoir exprimer adéquatement la rationalité. D’où son fameux jeu de mot entre
logos (raison) et
legein (recueillir) : la langue grecque serait le réceptacle de la raison ! Ceci autorise François Châtelet à écrire, tout naturellement et donc sans avoir à s’expliquer, que : «
la philosophie parle grec. On a eu raison de le redire après Heidegger ».
C’est par ce type de pétition de principe [
4], au racisme à peine voilée, que commence le premier chapitre du premier volume de sa monumentale histoire de la philosophie, publiée en 8 volumes chez Hachette !
En 1921, Sir Thomas Heath publiait un classique intitulé "L’histoire des mathématiques grecques" dans lequel il lançait :
"
De plus en plus d’efforts sont entrepris pour établir une juste appréciation et une claire compréhension des dons que les Grecs ont faits à l’humanité. Ils n’ont pas seulement été des précurseurs. Ce qu’ils ont entrepris, ils l’ont porté au sommet de la perfection et n’ont en cela jamais été surpassés. De toutes les manifestations du génie grec, aucune n’est plus impressionnante ou n’impose d’avantage le respect que celle que nous révèle l’histoire des mathématiques (...) Les Grecs, plus que tout autre peuple de l’Antiquité, possédait l’amour de la connaissance pour la connaissance ; chez eux il se ramenait à un instinct, une passion. Les Grecs étaient une race de penseurs".
Les Grecs étaient une "
race de penseurs", quelle blague. Ils n’ont cessé de pourchasser voir même tuer leurs propres penseurs.
Ainsi, les anciens révèlent que c’est à Thalès que l’on doit le mot "
philosophie". En effet, Thalès à qui les Grecs disaient qu’il était un "
Sophos" (sage) répondit qu’il était plutôt un "
Philo" (ami) "Sophos" (de la sagesse). Le philosophe grec est donc en principe, un "
ami de la sagesse". Vu les monstrueuses déclarations de Platon et d’Aristote sur l’esclavage, nous nous permettons d’en douter !
2- La volonté manifeste de mentir
Toutes ces déclarations visant à démontrer l’origine exclusivement européenne de la philosophie, seraient valables, si et seulement si, les Grecs anciens (Hérodote, Strabon, Platon, Diodore de Sicile, Jamblique, Plutarque, Hécatée d’Abdère, etc...), dans leur testament historique sur les origines de leur savoir, avaient confirmé cette origine européenne.
Hors il n’en est rien !
On peut alors objectivement se demander, quelle est la nature du complexe ou de la volonté de puissance qui pousse 99 % des historiens occidentaux
à travestir les faits, lorsqu’ils abordent les origines de la philosophie. C’est à dire, quelle est l’idée cachée qui les poussent à écrire des choses qui ne sont absolument pas conformes aux déclarations de leurs propres ancêtres, car une telle chose demeure tout simplement exceptionnelle dans l’histoire de l’humanité !
Voyons ensemble quelques déclarations léguées par les Grecs.
Le propre disciple de Pythagore (580 - 500 avant J. C. environ), à savoir Jamblique, raconte dans la biographie qu’il consacre à son maître que ce dernier ayant entendu parlé du mathématicien et philosophe phénicien Thalès de Milet (640 - 547 avant J. C. environ) décide d’aller le rencontrer pour lui proposer de devenir son disciple. Lors de leur rencontre relatée par Jamblique, Thalès lui apprend que tout ce qu’il sait, il le doit aux prêtres noirs de l’Egypte et l’invite à y aller sur le champ, s’il veut un jour devenir comme lui un "philosophos" : [
1] :
«
C’est ainsi que Thalès l’accueillit avec joie et ayant admiré sa supériorité par rapport aux autres jeunes gens, ayant reconnu qu’elle était plus grande et dépassait même la réputation qui l’avait précédé, il lui donna part à toutes les connaissances dont il disposait et invoquant sa propre vieillesse et sa faiblesse, il l’exhorta à cingler vers l’Egypte et à aller rencontrer tout particulièrement les prêtres de Memphis et Diospolis, c’est d’eux en effet, que lui aussi disait-il, avait acquis le bagage qui lui avait valu auprès du vulgaire le nom de sage (...)
C’est pourquoi il se rendit auprès de tous les prêtres, s’instruisant auprès de chacun d’entre eux sur tout ce en quoi chacun d’eux était sage. Il passa ainsi 22 ans en Egypte dans le secret des temples à s’adonner à l’astronomie et à la géométrie et à se faire initier non pas superficielement ni n’importe comment, à tous les mystères des dieux (...) Pythagore acquit en Egypte la science pour laquelle on le considère en général comme savant ».
"
C’est d’eux en effet, que lui aussi disait-il, avait acquis le bagage qui lui avait valu auprès du vulgaire le nom de sage", (sophos)... par cette phrase,
Pythagore, Jamblique et Thalès reconnaissent ici ouvertement que la philosophie,
loin d’être européenne, à pour essence l’Afrique et plus particulièrement, l’Egypte.
Ce fait était reconnu par tous les Grecs, tel l’orateur athénien
Isocrate (436 - 338 avant J. C.), qui nous apprend que la philosophie vient effectivement de l’Egypte et a été introduite en Grèce par Pythagore. Pour lui, même le nom "philosophie" vient d’Egypte. Ainsi sur Pythagore il écrivit [
2] :
«
Pythagore de Samos, venu en Egypte et s’étant fait le disciple des gens de là-bas, fut le premier à rapporter en Grèce toute philosophie ».
Venons-en à
Thalès. Ce dernier qui faisait partie des 7 Sages de la Grèce est aussi mentionné par Platon qui confirme son initiation égyptienne à la philosophie [
3] :
"
Thalès, fils d’Examyas, de Milet, Phénicien d’après Hérodote. Il porta le premier le nom de Sage (...) Il reçut en Egypte l’éducation des prêtres ".
L’écrivain grec
Diogène Laërce (300 après J. C.) nous confirme encore que les connaissances de Thalès en matière d’astronomie, de philosophie et de géométrie lui viennent encore d’Egypte :
«
Il (Thalès de Milet) n’eut point de maître, excepté le fait que lors de son séjour en Egypte, il vécut auprès des prêtres » . [
4].
Et pour prouver qu’à l’unanimité, les Grecs désignaient le continent africain comme lieu d’émergence de la pensée,
Plutarque (50 - 125 après J. C.) dans son ouvrage "Traité sur Isis et Osiris", dédié aux deux principales divinités égyptiennes, prend à témoin tous les sages de la Grèce :
«
C’est ce qu’attestent unanimement les plus sages d’entre les Grecs, Solon, Thalès, Platon, Eudoxe, Pythagore et suivant quelques-uns, Lycurgue lui-même, qui voyagèrent en Egypte et y conférèrent avec les prêtres du pays. On dit qu’Eudoxe fut instruit par Conuphis de Memphis, Solon par Sonchis de saïs, Pythagore par Enuphis l’Héliopolitain " .
Il est donc consternant de voir qu’en 2007, l’information historique distillée dans les manuels à propos de l’histoire de l’humanité, reste encore fortement emprunte de romantisme historique, de fables voir d’idées n’ayant rien à envier à l’idéologie coloniale véhiculée par le modèle d’approche historique eurocentrique dit "Modèle Aryen" qui veut arbitrairement que seules les expériences humaines européennes soient frappées du sceau de l’universalité. Telle est la dérive philosophique du monde occidental aujourd’hui. [
5].