sam
Well-known member
2. Comme la méthode utilisée pour conclure de l’existence de Dieu est une méthode de « gros bon sens », ou ce que les philosophes appellent la pensée rationnelle et ce que les musulmans appellent pensée innée, tenter de découvrir Dieu « intérieurement » ne peut mener qu’à l’erreur. Cela parce que les conclusions auxquelles nous pouvons parvenir en faisant de l’univers la preuve de cette cause indépendante et transcendantale est que cette cause doit être éternelle, unique et puissante; tout le reste ne peut être que spéculation. Le Coran demande : « Pourquoi dites-vous de Dieu ce dont vous n’avez aucune connaissance? ». Tenter d’internaliser ce qu’est Dieu équivaudrait à une souris tentant de penser comme un éléphant. L’être humain n’est pas éternel, unique et puissant et ne peut donc conceptualiser Dieu. Et c’est pourquoi Dieu Se manifester et Se décrire à lui par révélation.
Prenez l’exemple suivant : on frappe à votre porte et vous en concluez, évidemment, que quelqu’un se trouve de l’autre côté de cette porte. Mais savez-vous qui? Vous n’attendiez personne, alors vous demandez « qui est là? » pour le découvrir. Et la seule façon, pour vous, de savoir qui est derrière cette porte est que la personne en question vous le dise. Vous pouvez donc conclure que si Dieu a transmis quoi que ce soit à l’être humain, ce doit être en utilisant un moyen extérieur.
Salâm salâm
Bien qu'en séjour de vacances, je rebondis brièvement sur les deux paragraphes ci-dessus.
Suite à la lecture de ces deux paragraphes, j'en suis venu à conclure que l'agnostique n'est pas, comme le veut l'usage banal du mot, celui qui refuse une foi confessionnelle, mais celui qui prononçant le divorce entre la pensée et l'être, se ferme à lui-même et veut fermer aux autres l'accès aux univers qu'ouvre la gnose et dont les données immédiates ont pour lieu le « monde intérieur ».
Bref, si l'homme biologique est lié au temps, l'homme intérieur appartient à l'éternité. L'éternité ne se présente pas comme une négation du temps, un avant ou un après le temps. C'est à travers le visible que j'accède à l'invisible, à travers le fini que je débouche sur l'infini, et c'est à travers le temps que ma démarche intérieure s'ouvre sur l'éternité. Situé hors du temps, l'éternité n'est préhensible que dans le temps. Le paradoxe du temps et de l'éternité concerne à la fois la destination du monde et celle de la personne. La vie éternelle désigne non le futur, l'au-delà de la mort, mais « la vie du présent, la vie dans la profondeur de l'instant », ou s'effectue précisément la rupture du temps. Révéler l'éternel, c'est introduire l'esprit dans le temps et par conséquent transfigurer le temps. Le temps de la connaissance de soi en tant que temps existentiel supprime tout conflit entre le passé, le présent et le futur. Le temps déchiré est un temps illusoire. Le temps historique auquel la majorité des hommes se rattachent apparaît un produit de l'objectivation ; or, le temps de l'intériorité dépasse l'histoire, il se réalise dans l'éternité, c'est un temps vivant.
L'homme moderne récuse volontiers l'éternité, il temps à confondre l'irréel avec l'éternité. Plotin a posé le problème ; Dieu ne pouvant créer le monde éternel, il lui conféra le Temps « Image mobile de l'éternité ». Ainsi les instants deviennent les éléments constitutifs de l'éternité. Celle-ci ne survient pas, elle est constamment présente. Quand l'homme abandonne le temps, ou mieux quand le temps l'abandonne, il lui faut éprouver une sensation difficilement supportable : celle de son isolement. Tendre vers la connaissance de soi, c'est se retrancher du troupeau. L'homme qui a entrepris une telle recherche ne veut pas s'isoler, il ne le souhaite point, il ne choisit pas une démarche solitaire ; il refuse même tout signe d'extériorité qui le singularise. Simplement, sa situation lui confère un destin particulier.
On peut se demander ce que l'homme va découvrir. Je puis me rendre dans tel ou tel pays dans le but d'y visiter un musée, de regarder la chute des eaux d'un fleuve, ou encore de faire l'ascension d'une montagne. Je puis m'adonner à l'étude de la physique, de la littérature, de la philosophie et par conséquent posséder un savoir. Quel est donc ce Soi que l'homme tente de conquérir et quelle est sa signification ? Toute considération doit partir de ce fait que la dualité n'existe pas. Si je parle en termes antinomiques, c'es pour situer une distance. Dans la mesure où j'adhère à une dualité, c'est uniquement parce que je ne suis point parvenu à me connaître. Ici, l'errance est dualité ; tant que je ne me connais pas, je pense et j'agis en termes de dualité ; que je me connaisse, me voici un ; que je m'ignore, je suis plongé dans la dualité et je ne puis que m'exprimer en termes antinomiques. Se connaître, c'est donc se découvrir dans l'unité, prendre contact avec sa source, source vivante car source de la vie.
Se connaître, c'est accéder à la dimension cosmique. Bien sûr, il convient de s'entendre sur le sens du mot cosmos. Ce terme signifie « parure » ; celle-ci valorise celui qui s'en revêt ; elle révèle et témoigne ; elle n'a de sens que grâce à celui qui la porte. Posséder la dimension cosmique, être animé par elle, signifie le franchissement des limites. Ce n'est pas au-dehors qu'il découvre cette dimension cosmique, mais au sein de son intériorité. Le Cosmos porte le divin et l'humain, il est le lieu de leur rencontre et de leur étreinte.
Sourate, La Caverne 105 : « Ceux-là qui ont nié les signes de leur Seigneur, ainsi que Sa rencontre. Leurs actions sont donc vaines ».
Sourate, La Caverne 110 : « Quiconque, donc, espère rencontrer son Seigneur (...) »
J'accentue le sens de cette rencontre par une célèbre maxime de l'Imâm Alî, la Parure des adorateurs (Zayn Abi dîne), béni soit-il, qui a déclaré :
« Je reste étonné face aux gens qui ne connaissent pas leur propre Soi et veulent connaître Dieu ! »
Il ajoute:
« Le plus haut degré de raison est la connaissance de soi »
Enfin:
« La Lumière de l'Imâm dans le coeur des croyants fidèles est plus intense que le Soleil brillant en plein jour »
Sur le coeur, les gnostiques utilisent différents termes pour désigner l'âme humaine. Parfois, ils l'appellent nafs (moi), parfois qalb (coeur), parfois rûh (esprit) et parfois sirr (mystère). Lorsque l'âme humaine est dominée et soumise aux désirs et aux passions, ils la nomment nafs. Quand elle atteint l'état d'assumer la connaissance divine, elle est nommée qalb. Lorsque la lumière de l'amour divin pénètre en elle, elle est nommée rûh. Et lorsqu'elle atteint l'étape du témoignage, elle est nommée sirr. Bien évidemment, les gnostiques pensent qu'il y a également des niveaux supérieurs, qu'ils nomment khafî (caché) et akhfâ (le plus caché).
Cependant, le coeur isolément n’apporte pas une vision complète de la réalité en raison de son absence de discernement: « le coeur est aveugle ...». La modernité a conféré une place prépondérante à l’intellect car celui-ci, analytique, apte au calcul et à la décision, permet d’agir efficacement sur la matière. Mais l’intellect tout seul conduit l’homme à sa perte. Il est par conséquent indispensable de développer les deux composantes - coeur et intellect - pour devenir un être équilibré.
En conclusion, une célèbre maxime devenu un thème général de médiation pour les sprirituels – où la Divinité, révèle le secret de la Création :
« J’étais un trésor caché et j’ai aimé à être connu. Alors, j’ai créé les créatures afin d’être connu par elles »
(ou selon une autre variante : « afin de devenir en elles l’objet de ma connaissance »).
Le chevalier de l'intériorité apparaît donc aux hommes, vivant dans l'omnitude, comme un être inutile, voire pour certains dangereux.
Bien évidemment, ce n'est jamais « Dieu en soi » que l'on rencontre, mais son Seigneur (Ange). Il s’ensuit que ce que le mystique rencontre au terme de sa quête, ce n’est pas Dieu, Lui-même, mais le « pôle céleste de son être », « l’Ange de son être », sa partie divine à laquelle il aspire depuis qu’il s’est séparé de la Divinité, et dans laquelle il veut se fondre, s’anéantir pour retourner à la situation de préeternité où il était fondu en l’Essence divine. C’est-à-dire la recherche de l’Unité au sein de la Divinité. La divinité est dans l’humanité comme l’Image dans le miroir.
Parce qu'il y a une différence entre Allah et ton Seigneur. Le Seigneur (Rabb) est ton Dieu, tandis qu'Allah est le Dieu de toutes choses. C'est l'immensité d'Allah qui le rend incompréhensible et inaccessible aux représentations. Mais si l'Essence d'Allah est inconnaissable, la divinité n'en est pas moins accessible par l'intermédiaire du Rabb. Allah est le même pour tous. Le Seigneur est différent pour chacun. Évidemment cela ne signifie pas qu'il y a plusieurs dieux, mais plutôt que Dieu a différents voiles, différents degrés. En Son Essence, Il est inconnaissable, mais à un certain niveau, Il se rend connaissable, notamment par la Création et la Révélation. Le Rabb est la nature profonde de notre être, ce que Dieu (Allah) nous a donné d'être.
Connaître son Seigneur, c'est donc se connaître soi-même, parce que c'est connaître notre essence.