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En un mot/La liberté est victoire de l'esprit
Salâm salâm,
PLATON
Après avoir étudié la justice et la cité la plus à même de s’y conformer, la « cité royale », Platon, dans le livre VIII de la République, oppose à l’aristocratie qui fonde cette idée idéale les quatre types de constitutions défectueuse (La timocratie, l’oligarchie, la démocratie, et la tyrannie), et conjointement les quatre espèces d’âmes qui s’y rapportent. Analysant avec Adimante les mécanismes du passage des unes aux autres, Socrate montre que dans la première de ces formes de gouvernement, c’est l’élément irascible qui domine, c’est-à-dire le goût des honneurs. Quant à l’oligarchie, elle est fondée sur le pouvoir que procure la richesse. C’est alors que l’on passe au gouvernement démocratique, « lorsque les pauvres, ayant remporté la victoire sur les riches, massacrent les uns, bannissant les autres, et partagent également avec ceux qui restent le gouvernement et les charges publiques ; et le plus souvent ces charges sont tirées au sort ». La valeur fondatrice et distinctive de la cité démocratique, c’est la liberté. Les gens y sont libres, au sens où « chacun organise sa vie de la façon qui lui plaît ». Pour Socrate, cette liberté est synonyme d’anarchie, parce que « la cité déborde de liberté et de franc-parler, et on y a licence de faire ce qu’on veut ». La conséquence de cette conception permissive et égalitaire de la liberté, c’est que dans l’Etat démocratique – « gouvernement agréable, anarchique et bigarré, qui dispense une sorte d’égalité aussi bien à ce qui est inégal qu’à ce qui est égal » – « on n’est pas contraint de commander si l’on en est capable, ni d’obéir si l’on ne veut pas ». La liberté ainsi comprise relativise alors la nécessité des lois et met à mal toute hiérarchie, dans la famille (entre les âges et entre les sexes), dans la société (entre les esclaves et les hommes libres) et même suprême désordre ! – dans la nature (entre les animaux et les humains).
C’est donc dans cet excès de liberté que réside le passage de la démocratie à la tyrannie :
« le peuple fuyant la fumée de la soumission à des hommes libres, est tombé dans le feu du despotisme, et en échange d’une liberté excessive et inopportune, a revêtu la livrée de la plus dure et la plus amère des servitudes »
La tyrannie découle donc tout naturellement de la cité démocratique. Trop de liberté tue la liberté. Pour Socrate, la liberté démocratique ne peut que se retourner en son contraire, c’est-à-dire se retourner contre elle-même. Cependant, telle qu’elles sont respectivement définies par Platon, peut-on vraiment dire que la tyrannie est le contraire de la démocratie ? Ne doit-on pas plutôt voir une continuité entre ces deux formes de gouvernement ? Dans cette perspective, la différence entre la démocratie et la tyrannie n’est pas qualitative, mais quantitative. En effet, la liberté reste la même, mais au lieu d’être celle de tous les citoyens, elle est concentre dans la seule personne du tyran. Ce que montrera alors le livre IX de La République, c’est que l’âme du tyran, toujours en proie à des désirs déraisonnables, n’est pas plus libre que la cité qu’il gouverne.
« Ultime paradoxe : « Le véritable tyran est un véritable esclave ». La liberté véritable est celle de l’homme qui se « gouverne lui-même en roi ». Elle seule procure, à la cité comme à l’âme, l’harmonie et la justice »
Socrate :
Il nous reste maintenant à étudier la plus belle forme de gouvernement et le plus beau caractère, je veux dire la tyrannie et le tyran.
Adimante :
Parfaitement
Socrate :
Or ça ! Mon cher camarade, voyons sous quels traits se présente la tyrannie, car, quant à son origine, il est presque évident qu’elle vient de la démocratie.
Adimante :
C’est évident.
Socrate :
Maintenant, le passage de la démocratie à la tyrannie ne se fait-il de la même manière que celui de l’oligarchie à la démocratie ?
Adimante :
Comment ?
Socrate :
Le bien que l’on se proposait, […] et qui a donné naissance à l’oligarchie, c’était la richesse, n’est-ce pas ?
Adimante :
Oui.
Socrate :
Or c’est la passion insatiable de la richesse et l’indifférence qu’elle inspire pour tout le reste qui ont perdu ce gouvernement.
Adimante :
C’est vrai […].
Socrate :
Mais n’est-ce pas le désir insatiable de ce que la démocratie regarde comme son bien suprême qui perd cette dernière ?
Adimante :
Quel bien veux-tu dire ?
Socrate :
La liberté […]. En effet dans une cité démocratique tu entendras dire que c’est le plus beau de tous les biens, ce pourquoi un homme né libre ne saurait habiter ailleurs que dans cette cité.
Adimante :
Oui, c’est un langage qu’on entend souvent.
Socrate :
Or donc […] n’est-ce pas le désir insatiable de ce bien, et l’indifférence pour tout le reste, qui change ce gouvernement et le met dans l’obligation de recourir à la tyrannie ?
Adimante :
Comment ? […].
Socrate :
Lorsqu'une cité démocratique, altérée de liberté, trouve dans ses chefs de mauvais échansons, elle s’enivre de ce vin pur au-delà de toute décence ; alors, si ceux qui la gouvernent ne se montrent pas tout à fait docile et ne lui font pas large mesure de liberté, elle les châtie, les accusant d’être des criminels et des oligarques.
Adimante :
C’est assurément ce qu’elle fait […].
Socrate :
Et ceux qui obéissent aux magistrats, elle les bafoue et les traite d’hommes serviles et sans caractère. Par contre, elle loue et honore, dans le privé comme en public, les gouvernants qui ont l’air de gouvernés et les gouvernés qui prennent l’air de gouvernants. N’est-il pas inévitable que dans une pareille cité l’esprit de liberté s’étende à tout ?
Adimante :
Qu’entendons-nous par là ? […].
Socrate :
Que le père s’accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, que le fils s’égale à son père et n’a ni respect ni crainte pour ses parents, parce qu’il veut être libre, que le métèque devient l’égal du citoyen, le citoyen du métèque et l’étranger pareillement.
Adimante :
Oui, il en est ainsi […].
Socrate :
Voilà ce qui se produit, […] et aussi d’autres petits abus tels que ceux-ci. Le maître craint ses disciples et les flattes, les disciples font peu de cas des maîtres et des pédagogues. En général les jeunes gens copient leurs aînés et luttent avec eux en paroles et en actions ; les vieillards, de leur côté, s’abaissent aux façons des jeunes gens et se montrent plein d’enjouement et de bel esprit, imitant la jeunesse de peur de passer pour ennuyeux et despotiques.
Adimante :
C’est tout à fait cela.
Socrate :
Mais, mon ami, le terme extrême de l’abondance de liberté qu’offre un pareil Etat est atteint lorsque les personnes des deux sexes qu’on achète comme esclaves ne sont pas moins libres que ceux qui les ont achetés. Et nous allions presque oublier de dire jusqu’où vont l’égalité et la liberté dans les rapports mutuels des hommes et des femmes.
Adimante :
Mais pourquoi ne dirions-nous pas, […] selon l’expression d’Eschyle, « ce qui tantôt nous venait à la bouche » ?
Socrate :
Fort bien, […] et c’est aussi ce que je fais. A quel point les animaux domestiqués par l’homme sont ici plus libres qu’ailleurs est chose qu’on ne saurait croire quand on ne l’a point vue. En vérité, selon le proverbe, les chiennes y sont bien telles que leurs maîtresses ; les chevaux et les ânes, accoutumés à marcher d’une allure libre et fière, y heurtent tous ceux qu’ils rencontrent en chemin, si ces dernier ne leur cèdent point le pas. Et il en est ainsi du reste : tout débordé de liberté.
Adimante :
Tu me racontes mon propre songe, […] car je ne vais presque jamais à la campagne que cela ne m’arrive.
Socrate :
Or, vois-tu le résultat de tous ces abus accumulés ? Conçois-tu bien qu’ils rendent l’âme des citoyens tellement ombrageuse qu’à la moindre apparence de contrainte ceux-ci s’indignent et se révoltent ? Et ils en viennent à la fin, tu le sais, à ne plus s’inquiéter des lois écrites ou non écrites, afin de n’avoir absolument aucun maître.
Adimante :
Je ne le sais que trop […].
Socrate :
Eh bien ! mon ami, […] c’est ce gouvernement si beau et si juvénile qui donne naissance à la tyrannie, du moins à ce que je pense.
Adimante :
Juvénile, en vérité ! […] mais qu’arrive-t-il ensuite ?
Socrate :
Le même mal, […] qui, s’étant développé dans l’oligarchie, a causé sa ruine, se développe ici avec plus d’ampleur et de force, du fait de la licence générale, et réduit la démocratie à l’esclavage ; car il est certain que tout excès provoque ordinairement une vive réaction, dans les saisons, dans les plantes, dans nos corps, et dans les gouvernements bien plus qu’ailleurs.
Adimante :
C’est naturel.
Socrate :
Ainsi, l’excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude, et dans l’individu et dans l’Etat.
Adimante :
Il le semble […].
Socrate :
Vraisemblablement, la tyrannie n’est donc issue d’aucun autre gouvernement que la démocratie, une liberté extrême étant suivie, je pense, d’une extrême et cruelle servitude.
Adimante :
C’est logique.