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L'engagement comme initiation

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L'engagement comme initiation
Par Pierre-Yves Albrecht




Fondateur et animateur du centre de Rives-du-Rhône, en Suisse, où plusieurs centaines de drogués ont retrouvé le goût de vivre par un engagement total, notamment dans le chant, le contact avec la nature sauvage et l'alpinisme, Pierre-Yves Albrecht nous livre quelques aperçus de sa brûlante vocation.

S'engager ou l'action radicale de s'offrir en gage au créancier pour garantir sa créance ; en quelque sorte, aussi, une espèce de sacrifice où l'occasion nous est donnée de produire du sacré, sacer facere, de transformer notre réalité profane en quelque chose d'initiatique.

Dans tous les cas où l'homme accède à un degré d'être qui lui donne un statut nouveau par rapport à la profondeur numineuse de la réalité, il y a engagement, initiation, ou possibilité d'initiation. Le symbolisme initiatique lui-même fait naturellement référence au processus de mort et de renaissance auxquelles succèdent des modifications ontologiques, psychiques, psychologiques et comportementales.

La contre-initiation infernale

Dans la pensée traditionnelle, le profane n'a de sens que dans ses rapports au sacré ; cela va si loin que “la condition humaine participe au sacré ou bien n'existe pas”. Dans cette perspective, l'équation s'énonce comme suit : s'engager ou ne pas être. Mais cette participation, cette mise en gage de soi-même, ne se donne pas à priori comme effective ; elle se manifeste par degrés de la naissance à la mort, révélant, au rythme des passages dans la profondeur de l'être, les modalités de la psyché prenant successivement connaissance d'elle-même, du cosmos et des dieux.

”L'homme banal”, lui, nouvel habitant de la civilisation post-moderne, évolue dans un temps vidé du tragique de l'existence : l'homme, jadis prométhéen, ne s'intéresse désormais plus aux feux intérieurs des brasiers divins, il n'a plus d'inquiétude à dérober des étincelles de cette nature. Son attention se focalise sur les feux de surface, source des puissances mécaniques qui propulsent ses jouets. Les grandes migrations de l'alliance originelle ne traversent plus aucun désert, ni mer Rouge, ni quelque terre promise censés nous conduire quelque part !
L'homme “banal” a sombré dans l'animisme et l'idolâtrie des objets, l'oubli de la leçon du mythe et de l'initiation ; ceux-ci n'ont plus pour lui que valeur d'anecdote.

Ainsi la ligne du réel est brisée, et le voyage en profondeur dans les sillons de l'âme, dans les labyrinthes du cosmos et dans le secret des empyrées n'a plus cours. Le fil d'Ariane s'est rompu en courts segments, puis en points infiniment distants l'un de l'autre. Chacun pour soi !
Et nos gosses en payent le prix !

Depuis une vingtaine d'années ma vocation de philosophe thérapeute m'engage auprès des personnes dépendantes, auprès de ceux qui ont vainement tenté le “grand saut”, expérimenté des processus d'ivresses analogues à ce que la tradition nommait la “contre initiation”, à ce que j'appellerai ici le “contre engagement”, avec pour tragiques conséquences le retournement du projet initiatique, la descente aux enfers, la stagnation dans une espèce d'œuvre au noir contrefaite et indéfiniment prolongée, l'oubli de Soi, la fermeture au Cosmos et au Theos. L'engagement initiatique est une exigence de l'âme, et lorsque l'ivresse d'une telle expérience fait défaut dans une société, l'enfant digne de ce nom cherche par tous les moyens qui lui restent à réaliser la noble intensité vibratoire.

Hélas ! les stratégies sont oubliées et les itinéraires ne sont plus balisés. Les gosses se perdent dans les vertiges creux et desabîmes sans fond. Mais quel rapport entre l'ivresse et l'initiation (ou l'engagement initiatique) ?

Toutes les expériences initiatiques (d'engagement), par la pensée qu'elles opèrent dans la substance du monde, modifient, de même que l'ivresse, la perception normale de “l'homme banal”. En fonction des caractéristiques particulières d'une telle initiation, des champs de conscience spécifiques développent une intelligibilité et des colorations émotionnelles très spéciales, pour le moins qu'on puisse dire. Il y a donc équivalence entre l'ivresse et l'initiation, ou plutôt, à chaque moment initiatique correspond un certain état extatique et réciproquement.

En 1931, Drieu La Rochelle écrivait cette phrase prémonitoire : “Les drogués sont des mystiques vivant dans une époque matérialiste, qui n'ont plus la force nécessaire pour animer les choses autour d'eux, pour les sublimer dans le sens du symbole ; ils entreprennent sur elles un travail inverse et réducteur au bout duquel les choses en sont rongées jusqu'à l'atteinte du noyau du néant.”

Stupéfiantes aventures sauvages

Dès 1980, saisissant cette idée au vol et ayant constaté que nos mystiques en herbe manquaient le but par faute d'ivresse adéquate, j'ai imaginé de restaurer ces rites de passage que notre civilisation avait gommés de l'espace culturel et de proposer ceux-ci aux personnes en quête de liberté.

Car seule l'initiation libère !

L'initiation ne prend son sens que dans l'idée de la chute et de la rédemption ; la chute a provoqué une rupture que l'initiation, par son dynamisme régénérateur, va essayer d'annihiler.

Comment surmonter la séparation, comment réintégrer l'unité avec soi-même, avec le cosmos, avec les dieux ? Il y a deux réponses possibles :
- La première est le dépassement de la séparation et le retour à l'unité par la régression au stade d'unité préexistante à l'apparition même de la conscience, nous dit Fromm.

- L'autre réponse consiste à devenir totalement né, à développer sa conscience, à se connaître pleinement. La première engendrera les voies de fuite pathologiques liées à la folie, à la toxicomanie, à l'œdipe, à “l'instinct” de destruction, au narcissisme aigu, etc.
La deuxième essaiera de mettre en application l'adage de l'oracle de Delphes :

“Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les dieux.“ Elle s'efforcera de dépasser l'aliénation par l'épreuve initiatrice révélant l'âme à elle-même et l'aidant à gravir les successifs degrés de l'être.

Au fil des ans j'ai pu prendre la mesure de retournements incroyables, vu la puissance de certains élixirs pour éveiller les richesses de pauvres hères qu'on prétendait perdus :

les longues pistes du pèlerin, l'espace immobile de l'ermite, quelques aventures stupéfiantes dans des reliefs sauvages, bref, une ascèse digne de l'homme, suscitant une nouvelle qualité des regards, en tous les cas quelque chose de suffisant pour avoir désormais une raison de vivre !

Je laisse, à titre d'illustration et pour clore ce modeste article, la parole à Oscar, un petit gars de la zone que la dope avait jadis précipité jusqu'à “ce noyau du néant”, qui, seul aujourd'hui depuis une dizaine de jours dans l'immense désert du Sahara, nous adresse ce bouleversant message :

« Mardi. La pluie s'est mise à tomber. Mon premier réflexe a été de couvrir les affaires avec la toile de secours, de me vautrer dans mon sac de couchage en attendant que l'ondée se calme. J'ai été surpris ; d'un coup l'orage a éclaté et la grêle a crépité dans le sable jaune.
J'attendais l'accalmie, mais le ciel devenait de plus en plus noir et la tempête redoublait de violence. J'ai pris conscience que j'était seul, ridiculement seul dans un espace vide et inconnu, hors de portée d'une quelconque présence qui aurait pu m'aider. J'ai eu l'envie de creuser un trou, de m'y précipiter, d'étendre le tissu qui protégeait le sac, sur mon corps et d'attendre... de dormir. J'ai compris soudain que j'avais toujours fait pareil : attendre et dormir. Ne pas m'engager !

« J'ai alors rejoint le cercle, puisque c'est lui qui me donne le sens ; j'ai monté la garde dans cette citadelle infime, dans ce centre invisible, et tant qu'il pleuvait je marchais en rond sur ces remparts éphémères. Cela a bien duré une journée. Je chantais et j'était bien parce que je sentais que rien ne pourrait m'arriver... le vent, la pluie, les éclairs, tout ce dont j'avais eu peur jusqu'à aujourd'hui, ne m'impressionnaient plus. Je suis resté en éveil aussi longtemps que la tempête a hurlé...

« Au crépuscule, le soleil a surgi, presque à l'horizontale sur les marches de l'Ouest, et en quelques secondes a teinté le ciel de jaune, de mauve et de bleu. Je me suis vu, de je ne sais quelle hauteur, dans l'espace radial couronné de lumière, dans une sorte de bouclier de bronze étincelant, dans une coupe d'or au milieu des sables blonds où un homme minuscule et vainqueur, trempé jusqu'à la moelle des os, entonnait un dernier “chant de grâce dans la paix revenue”. »

À lire, de Pierre-Yves Albrecht

- Le Courage de se Vaincre , éd. du Relié.

  • 40 jours au désert, un style de voyage : les nouveaux thérapeutes , éd. Saint-Augustin.
  • L'Archer blanc : de la dépendance à l'initiation , éd. Ketty & Alexandre.
  • Le Devoir d'ivresse : les itinérances du thérapeute ,
préface de Jean-Yves Leloup, éd. Terra Magna/Georg
 

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