Salam alykoum,
Je viens de parcourir l'evangile de barnabé et là...no comment!
J'en avais entendu parler avant où l'on disait que c'était le seul évangile où on trouve le nom de "MOHAMMED"cité.Mais là,Jesus(as) en parle dans tout l'évangile.Je comprends pourquoi on l'a interdit.Mais question;quand a-t'-il été trouvé,où et aujourd'hui où est-t'il?merci
salam laykoum
Les débuts de l'affaire (XVIIe- XVIIIe siècles)
Il existait, dans le très haut Moyen Age, un siècle avant l'islam, un évangile de Barnabé ; ce nom figure sur plusieurs listes d'ouvrages condamnés (décret du Pseudo-Gélase, etc.). Mais seul le nom est connu ; ni le texte lui-même, ni aucun témoignage sur la doctrine qu'il enseignait ne sont parvenus jusqu'à nous.
Dix siècles plus tard, le nom réapparut et cette fois-là en liaison avec un texte précis, à forte saveur musulmane. Etait-ce celui que visait le décret du Pseudo-Gélase ? Etait-ce un tout autre ouvrage publié sous le même titre ? Les études devaient montrer que le livre actuel formait un ensemble parfaitement cohérent, ne pouvant pas avoir été rédigé avant notre Renaissance et qu'il avait été écrit en Occident. Il ne s'agissait donc pas du même texte et le « pseudo-Barnabé » n'avait aucune autorité d'évangile. Ses affirmations avaient la valeur des sources auxquelles elles avaient été empruntées.
Nous désignerons par le sigle EB l'évangile de Barnabé, par EBI le texte italien, par EBS le texte espagnol. La première version de l'EB qui avait laissé des traces est le texte espagnol. Un manuscrit (ms9653, f° 178) à la bibliothèque nationale de Madrid en parle. Cet ouvrage avait été signalé en 1977 par Louis Cardaillac, historien de l'Espagne et spécialiste des morisques. L'auteur du manuscrit, en effet, est un morisque, un de ces musulmans espagnols extérieurement convertis au christianisme après la
reconquista mais gardant leur foi musulmane dans leurs cœurs. Ce texte cité signale que la venue future de Mohammad est annoncée dans l'Evangile de Barnabé, ce qui est exact.
Au début du XVIIIe siècle, la totalité de cet évangile en version italienne comme en version espagnole est vue et signalée pour la première fois. Un conseiller du roi de Prusse, P. Cramer, qui résidait à Amsterdam, avait fait l'acquisition du texte italien. En 1709, il le prêta à un érudit, humaniste unitarien, John Toland, qui fut un des premiers à en parler. Le manuscrit lui-même suivit un itinéraire qui le conduisit finalement à Vienne (Autriche) où il se trouve encore aujourd'hui à la bibliothèque nationale.
John Toland perçut immédiatement l'aspect musulman du texte de l'EBI. Il se demanda s'il ne se trouvait pas en face d'un évangile répandu en Arabie à l'époque de Mohammad. Mais avec sagesse, il jugea qu'un supplément d'enquête s'imposait avant qu'il ne soit possible de se prononcer. Il rassembla même une série de questions qu'il serait bon d'adresser aux chrétiens résidant en terre d'Islam pour faire la lumière sur plusieurs points importants. De fait, l'aspect d'érudition devait attendre le début du XX è siècle pour être vraiment abordé.
Quant à l'EBS, le texte espagnol, un orientaliste George Sale l'a eu sous les yeux. Dans l'introduction à sa célèbre traduction anglaise du Coran, publiée pour la première fois en 1734, il en parla. On apprît ainsi par lui que le prologue de l'EBS présentait le texte espagnol comme traduit à partir de l'italien. L'EBI toujours d'après ce prologue aurait été caché au Vatican ; le pape Sixte Quint (1585-1590) l'aurait conservé dans sa bibliothèque personnelle. Un religieux en visite chez lui l'aurait subtilisé et, après sa lecture, se serait converti à l'islam. Cette préface mélodramatique ajoute que le religieux en question, intrigué par un texte de saint Irénée dirigé contre saint Paul et qui alléguait l'autorité de l'Evangile selon Barnabé recherchait depuis quelques temps cet évangile. De telles allusions à l'œuvre de saint Irénée qui est à l'heure actuelle fort bien connue et ne contient rien de tel, montrent le caractère fantaisiste du récit. Le texte espagnol passa ensuite pour perdu jusqu'en 1976, date à laquelle sa présence a été signalée dans une bibliothèque de Sydney (Australie), la Fisher Library. L'exemplaire de Sydney est incomplet ; les chapitres 120 à 200 inclus manquent sur un total de deux cent vingt-deux . Une mention manuscrite sur cet exemplaire apprend que le texte avait été recopié sur celui qui avait appartenu à George Sale.
Est-il possible de dater plus précisément le texte ?
Bref, que l'évangile de Barnabé sous sa forme actuelle ait été rédigé d'après les évangiles canoniques et s'en inspire est évident. Il leur est donc postérieur. En outre, dans ses exposés de spiritualité cet évangile reproduit des thèmes qu'il serait invraisemblable de trouver avant une date tardive, mettons le milieu du Moyen Age, et en Occident. Ainsi la topographie des régions de l'enfer ou encore la division des péchés capitaux devenus péchés mortels, ou la description des phénomènes qui précéderont le Jugement dernier. Enfin, la critique des prêtres et des religieux se fait en des termes qui rappellent beaucoup plus l'anticléricalisme occidental médiéval que la vie au Proche-Orient à l'époque à l'époque de Jésus. Même la façon de parler des pharisiens remontant à l'époque d'Elie vise avant tout les religieux occidentaux de la fin du Moyen Age et de la Renaissance.
Un dernier argument nous conduit après l'an 1350. Jésus parle des temps messianiques de l'avenir et ajoute : « et l'année du jubilé qui maintenant revient tous les cent ans reviendra chaque année et en tout lieu à cause du Messie » (ch. 82).
Le jubilé était une institution juive périodique tombant tous les cinquante ans. Le jubilé tous les cent ans fut une exception dans l'église romaine lorsque fut décrétée en 1300 une année jubilaire qui aurait du se renouveler cent plus tard. Mais, dès 1350, la périodicité augmenta. Il y eut un jubilé en 1350 et ensuite tous les 25 ans. Que les années jubilaires au lieu de tomber tous les cent ans se soient multipliées, est un phénomène qui nous reporte après 1350.
L'étude des Ragg vit le jour en 1907. L'ensemble des orientalistes l'approuva. « Apocryphe incontesté », écrivit Louis Massignon dans la
Revue du Monde Musulman ; « fumisterie » (Gaukelei), déclara Ignace Golziher dans ses études sur le Coran. Quant au P. Lagrange, il eut ces mots dans une recension : « c'est un curieux monument d'un étrange état d'âme ; il n'est pas aussi ennuyeux que d'autres apocryphes » (
Revue Biblique, 1908, p.300.).
Du côté musulman, par contre, les arguments n'eurent aucun impact et, sauf dans quelques cas bien précis, l'engouement continua comme avant. Bien plus, le texte fut désormais entre les mains de ceux qui voulaient le consulter. Il venait d'être publié en traduction anglaise. Il fut aussitôt traduit en arabe (1908) au Caire, sous le patronage de la revue réformiste, le
Manar. Ensuite, d'autres traductions furent mises en chantier, sans que jamais l'étude critique soit reproduite. Depuis lors, tous les travaux musulmans sur la christologie ou la vie de Jésus s'en inspirent. Même la simple existence de cet évangile sert à jeter la suspicion sur la fiabilité de nos évangiles : elle est mentionnée comme preuve de la véracité de ce que le Coran dit de Jésus.
Retour en Andalousie. Les faux documents de Grenade (fin du XVIe siècle)
Dans le cas des forgeries, il est toujours difficile de reconstituer ce qui s'est passé. Silence et dissimulation sont de mise. Dans le cas présent, l'on sait que des crypto musulmans, après la chute du royaume de Grenade, sont à l'origine de la « découverte » d'une série de faux documents autour de cette ville. Tout commença en 1588, lors de la destruction d'un ancien minaret qui gênait la construction d'une grande église. Un coffret de reliques fut trouvé, il se présentait comme remontant aux temps apostoliques et aux débuts de l'épiscopat en Espagne. Puis d'autres pièces furent mises au jour, notamment des plaques de plomb (appelées livres de plomb) couvertes de textes en castillan et en arabe, censés dater de l'époque des apôtres. Les autorités ecclésiastiques firent appel à des morisques pour les traduire ; mais certains se demandèrent si les auteurs des faux n'étaient pas justement ces traducteurs. Il existe plusieurs études sur ces faux. La plus accessible est encore en anglais : Thomas Kendrick,
Saint James in Spain, London, 1960.
Or, parmi les livres de plomb, il s'en trouve un qui parle du « Véritable Evangile ». Ce livre intitulé : « Libro de la Historia de la Verdad del Evangelio » est édité dans le recueil
Los libros Plumbeos del Sacromonte, edicion de Miguel José Hagerty, Madrid, 1980, pp. 119-130. Le texte raconte comment la Vierge Marie a confié à l'apôtre Jacques le Véritable Evangile pour qu'il l'emporte en Espagne et l'y cache. Ainsi, échappera-t-il aux altérations. Il est même donné diverses précisions, avec mention de Chypre, ce qui suggère l'idée de Barnabé. L'évangile de Barnabé lui-même enseigne que Jésus n'est pas le Messie et que Mohammad est le Messie annoncé. Cette idée est assez curieuse dans la bouche d'un musulman car le Coran dit formellement de Jésus : « son nom sera al-Masïh Isa, fils de Marie » (Coran 3,45). Mais les dernières études sur les morisques ont montré que parmi eux, pour exalter Mohammad, certains disaient que Jésus était le Messie des enfants d'Israël tandis que Mohammad était le Messie universel. Nous ne sommes plus bien loin de Barnabé.
Finalement, cette dernière attitude reviendrait à voir dans ce texte un faux évangile destiné à renforcer dans leur foi les crypto-musulmans. En réalité, la préparation de toute cette affaire prit du temps. L'expulsion des morisques en 1609 survint avant que tout ne soit au point. Désormais, l'évangile selon Barnabé ne présentait plus le même intérêt, pour les morisques revenus en terre musulmane et qui n'avaient plus à vivre en dissimulant leur foi.
Il fallut attendre le XIXe et surtout le XXe siècle pour que cet apocryphe retrouve son intérêt pour la propagande musulmane. Il ne l'avait d'ailleurs jamais vraiment perdu et en 1908, dans sa recension du livre des Ragg, le P. Lagrange le notait bien lorsqu'il présentait : « Un ouvrage qui connaît très bien les évangiles et même la Vulgate et qui se sert de la prédication de Jésus pour faire de la propagande en faveur de Mahomet » (
Revue Biblique, 1908, p. 300).
Il reste une question : en quelle langue a été écrit le texte original de cet évangile. L'idée qu'il y aurait eu au point de départ un texte arabe est abandonnée car il n'y a vraiment aucune trace de tournure arabe dans le style. Quant à croire l'exemplaire espagnol traduit sur l'italien comme l'affirme l'EBS, les derniers chercheurs ne le pensent pas. Pour eux, l'espagnol est le texte premier mais l'histoire d'un original italien a été inventée pour justifier sa découverte au Vatican et lui donner plus d'autorité. Un fait est certain : la rédaction actuelle EBS ou EBI date au plus tôt du XVIe siècle. Elle n'a aucune autorité d'évangile. La traduction italienne porte des marques qui suggèrent que ce dernier travail a été fait en Turquie dans les milieux de morisques réfugiés (type de la reliure, notes en arabes écrites en graphie orientale).
Au fond, il semble bien que, pour beaucoup de musulmans, le fait que les chrétiens soient gênés par l'évangile selon Barnabé est la vraie raison de le prendre au sérieux. Ensuite, sa doctrine, sauf pour la question du Messie, est conforme au Coran (ce qui est normal car il s'en inspire).
Enfin le caractère de Messie accordé au Christ n'a guère d'importance dans le patrimoine musulman. C'est un titre d'honneur général qui ne comporte pas les implications historiques que nous lui connaissons dans l'histoire du judaïsme.
De plus, les traductions arabes ont évité de rendre messie par le mot normal
al-masîh mais, en général, ont simplement transcrit en arabe les lettres du mot anglais ou italien.
http://biblio.domuni.org/articlesbible/barnabe/