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Entrée de l’Etoile Nord Africaine à Alger. Questions Islam, langue arabe, communisme

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L’entrée de l’Etoile Nord Africaine à Alger -
Par Youssef Girard.​
Dans l’histoire du nationalisme algérien, le 2 août 1936 marqua les réels débuts de la pénétration de l’Etoile Nord Africaine (ENA) sur le sol algérien. Jusqu’alors les idées nationalistes révolutionnaires qui alliaient références arabo-islamiques et conceptions révolutionnaires de l’action politique, étaient restées cantonnées dans les milieux des travailleurs immigrés maghrébins en France.
Avant cette date, les thèses étoilistes étaient déjà connues dans la capitale algérienne par un petit groupe de militants pionniers du nationalisme révolutionnaire en Algérie. Ce groupe avait fondé le premier parti politique nationaliste révolutionnaire algérien sur le territoire algérien, le Parti National Révolutionnaire (PNR)[1]. Le PNR fut créé au début des années 1930 à l’initiative d’un militant venu du Parti Communiste, Sid Ahmed Belarbi dit Boualem. De retour de l’Ecole des cadres de Moscou, il s’était opposé à la non-arabisation de la « Région algérienne » du Parti Communiste Français et à la mise à l’écart des cadres algériens formés, initialement, pour prendre la relève de leurs « camarades » européens. Même si le Parti National Révolutionnaire vit le passage dans ses rangs de militants aussi importants dans l’histoire de la lutte de libération nationale algérienne que Mohammed Mestoul[2], Ahmed Mezerna[3], Khelifa Ben Amar[4] ou Mohammed Khider[5], son influence resta limitée à de petits cercles d’initiés.
L’activité du PNR se limitait à des discussions dans de petits cénacles, à des distributions de tracts ou encore aux collages de papillons, la nuit, sur les murs des villes. Finalement, les militants du Parti National Révolutionnaire rejoignirent les rangs de l’Etoile Nord Africaine à l’automne 1934 suite à l’exclusion de Sid Ahmed Belarbi du PC. Après des contacts avec la direction de l’Etoile Nord Africaine, le PNR intégra l’ENA de manière collective. Durant ces années d’existence, l’influence du PNR fut circonscrite aux villes d’Alger, Blida, Tlemcen et au lycée de Philippeville (Skikda). Il était relativement bien implanté dans le milieu des traminots algérois, mais, en dehors d’eux, il n’avait pratiquement aucune influence. Le PNR rassembla moins de 100 militants, à Alger et alentours. Toutefois, ce petit groupe de pionniers du nationalisme révolutionnaire participa au lancement de l’Etoile Nord Africaine sur le sol algérien.
Il fallut attendre le 2 août 1936, et le discours prononcé par Messali Hadj au stade municipal d’Alger, pour permettre de faire connaître les idées étoilistes aux masses algériennes qui devaient leurs donner un écho considérable. Le discours de Messali Hadj fut, selon Mohammed Harbi, l’un des trois grands événements qui permit de structurer le mouvement nationaliste révolutionnaire algérien avant l’insurrection du 1ier novembre 1954[6]. Avant de comprendre l’enthousiasme populaire entourant l’entrée en scène du leader nationaliste sur la scène politique algérienne, l’allocution de Messali Hadj doit être restituée dans son cadre historique c’est-à-dire dans la lutte qui opposait l’Etoile Nord Africaine au Front Populaire d’une part et dans celle qui l’opposait au Congrès Musulman d’autre part.
Les rapports ambigus avec la gauche française
Les militants immigrés maghrébins qui, dans leur grande majorité, étaient des prolétaires ou des sous-prolétaires, se sentaient plus portés vers la gauche de l’échiquier politique français que vers la droite.Hors de leur pays natal, ces immigrés avaient trouvé un climat politique différentcar, en France, les libertés publiques étaient mieux respectées qu’en Algérie malgré la constitution de la Section des Affaires Indigènes Nord-Africains (SAINA), surnommée la « commune mixte » ou le « bureau arabe » de la rue Lecomte, en décembre 1923, qui était spécialement chargée de surveiller l’immigration maghrébine[7]. « La séduction, écrivait Abdelmalek Sayad, pour ne pas dire la nécessité de l’émigration apparaît d’autant plus grande qu’on découvre, rétrospectivement, que le séjour en France est susceptible de faire bénéficier de conditions infiniment plus libérales pour un engagement politique (c’est-à-dire nationaliste) que celles qu’on connaît dans la colonie »[8].
Les plus politisés et les plus engagés parmi les premiers immigrés maghrébins avaient côtoyé le mouvement ouvrier français au lendemain de la guerre 1914-1918. Ils étaient aussi attirés par la politique anti-colonialiste du Parti Communiste Français qui traversait sa « période léniniste »[9] durant la première moitié des années vingt. Cette politique suivait en cela les théories léninistes de solidarité du mouvement communiste avec les mouvements nationaux révolutionnaires des pays colonisés.
Parmi les 21 conditions posées pour pouvoir adhérer à la IIIème Internationale, la huitième était consacrée au problème colonial : « Dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les partis des pays, dont la bourgeoisie possède des colonies et opprime d’autres nations, doivent avoir une ligne de conduite claire et nette. Tout parti désireux d’appartenir à la IIIème Internationale est tenu de démasquer impitoyablement les entreprises de ses impérialistes dans les colonies, de soutenir, non en paroles mais en faits, tout mouvement d émancipation dans les colonies, d’exiger qu’en soient expulsés les impérialistes nationaux, de cultiver dans le cœur des ouvriers de son pays une attitude vraiment fraternelle à l’égard de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimées et poursuivre une agitation systématique parmi les troupes de son pays contre toute oppression des peuples coloniaux »[10].

Même si cette condition d’adhésion à la IIIème Internationale fut combattue par les trois fédérations de la SFIO d’Algérie qui dénoncèrent au Congrès de Tours « les dangers des révoltes indigènes et des mouvements nationalistes »[11], les communistes français s’engagèrent résolument dans la lutte anti-colonialiste et anti-impérialiste. Cet engagement se manifesta notamment par un soutient à la révolte menée par l’Emir Abdelkrim el-Khattabi dans le Rif[12] et par une aide apportée au premier mouvement politique nationaliste dans les pays occupés par la France. Dans l’hexagone, les communistes créèrent « l’Union Inter Coloniale » qui avait pour but de rassembler l’ensemble des travailleurs immigrés et des étudiants venus des territoires colonisés par la France afin de les former politiquement à la lutte anti-impérialiste conformément aux directives de la IIIème Internationale.
Attirés par les idées sociales et anti-colonialistes professées par les communistes, un certain nombre d’immigrés maghrébins militèrent au sein du Parti Communiste Français ou des syndicats CGT et CGTU[13].
L’Etoile Nord Africaine dans ses premières années d’existence fut très proche du PCF puisqu’elle était membre de « l’Union Inter Coloniale » et que nombre de ses cadres étaient passés dans les rangs du Parti communiste ou de la CGTU. Rapidement des dissensions apparurent entre le PCF et l’ENA qui entraînèrent une volonté d’autonomisation toujours plus grande de l’organisation nationaliste révolutionnaire. La volonté d’autonomie des militants maghrébins s’affirma sur deux questions fondamentales : premièrement, ils refusaient d’être uniquement considérés comme des instruments d’un appareil qu’ils ne contrôlaient pas ; deuxièmement, ils n’acceptaient pas le mépris exprimé par les communistes français vis-à-vis du Maghreb, de la culture arabo-islamique et de l’islam[14].
Cette volonté d’autonomie provoqua, à partir de la fin des années vingt, une rupture de plus en plus profonde entre communistes français et nationalistes révolutionnaires maghrébins. « Nous parlions d’Islam, ce qui déplaisait aux communistes. Plus que jamais, il fallait que nous comptions sur nous-mêmes et sur nos propres moyens »[15], témoignait Belkacem Radjef. Cette rupture entraîna un fort ressentiment anti-communiste qui marqua profondément l’histoire du nationalisme algérien. Pour Belkacem Radjef, « être ou ne pas être français ; c’est la ligne de démarcation entre nous et les autres personnalités et formations algériennes. Nous concevions ainsi le nationalisme. Nous venions de créer un embryon d’organisation, mais nous ne pouvions pas nous permettre d’avoir les communistes sur le dos. Nous n’avions d’ailleurs aucun intérêt à le faire »[16].
Néanmoins, les militants nationalistes révolutionnaires algériens avaient gardé de leurs contacts prolongés avec les organisations ouvrières françaises une certaine forme d’organisation de l’action militante : l’importance donnée aux structures organisationnelles du mouvement, le rôle de la presse du parti, les techniques d’organisations collectives (meetings, manifestations de rue…), l’utilisation de symboles politiques permettant d’identifier un groupe dans l’espace public (drapeaux, affiches…). Selon Belkacem Radjef, « les adhérents avaient tendance à décliner les responsabilités, soit faute de confiance en eux-mêmes, soit par peur des tracasseries administratives ou policières. Comment dès lors organiser, diriger, s’imposer auprès des émigrés ? Seuls les communistes, faut-il le préciser, étaient armés dans ce domaine, et possédaient la technique de l’encadrement »[17].

Messali Hadj qui fut formé dans les écoles du PCF, avait lu « Que faire » de Lénine et avait fait siennes les techniques d’organisation théorisées par le leader révolutionnaire russe. Même s’il affirmait l’avoir rapidement abandonné comme référence, l’ouvrage influença clairement les modes d’organisation de l’Etoile Nord Africaine puis du PPA-MTLD. Les talents d’organisateur que tous reconnaissaient à Messali Hadj, découlaient en grande partie de cette incorporation des idées développées par Lénine. Mais au-delà de cette influence léniniste, un certain nombre d’idées et de techniques furent puisées « dans l’arsenal des confréries religieuses : l’initiation, le serment, l’épreuve probatoire (imithan), la manière de désigner les adversaires algériens « El Mounafiqun » (les douteurs) et « El Munharifun » (les déviationnistes) ».[18] Messali Hadj était, lui-même, issu d’une famille active au sein de la confrérie soufie Derqaoua à Tlemcen.
Les militants nationalistes avaient aussi gardé, de leurs contacts avec la gauche française, certaines idées qui leur permettaient de décrire leur réalité sociale et celle de leur pays. Cela leur permit de créer le terrain permettant, à l’ensemble des militants nationalistes, d’absorber et de vivifier une véritable doctrine originale correspondant à leurs propres conditions de vie. Les idées de « révolution », de « lutte contre l’impérialisme » ou de « lutte contre l’exploitation » restèrent au cœur du discours du mouvement nationaliste révolutionnaire algérien. La réappropriation de certaines idées et de certaines formes d’action, empruntées au mouvement ouvrier européen, puis leur incorporation dans la culture populaire algérienne marquée du sceau de l’islam formèrent l’ossature idéologique du nationalisme algérien. L’Etoile Nord Africaine puisa « sa source idéologique dans les deux courants, prolétaire et spirituel. Les travailleurs émigrés formés au dur combat de la réalité ouvrière, restaient sensibles au message qui venait de ce qui représentait leur passé et leur attachement à la civilisation arabo-islamique. Ce qui évoquait Damas, Bagdad et le Caire restait pour eux sacré »[19].
Les espoirs déçus du Front Populaire

Ce processus de socialisation politique au contact du mouvement ouvrier européen, fut sûrement l’un des facteurs déterminant qui amena les nationalistes algériens à s’engager dans la lutte contre l’extrême-droite au début des années trente. Depuis la grande manifestation des ligues d’extrême-droite, le 6 février 1934, l’Etoile Nord Africaine manifestait régulièrement contre la réaction française, les ligues et le fascisme aux côtés des organisations rassemblées au sein du Front Populaire.
En 1935, à Paris plus de sept mille Maghrébins participèrent au défilé annuel du 14 juillet. Après cette démonstration de force, le Comité du Rassemblement Populaire demanda à l’Etoile Nord Africaine de préciser son programme politique. En réponse, l’ENA réaffirma sa volonté d’obtenir l’indépendance des trois pays du Maghreb. L’organe de l’ENA, El-Ouma, rappela aux organisations de gauche rassemblées dans le Front Populaire que celles d’entre elles « qui soutiennent l’Ethiopie [face à l’invasion de l’Italie fasciste] ne peuvent refuser au Nord-africains l’espoir de s’émanciper un jour et de mettre fin au régime odieux de la colonisation »[20].
La déception fut grande, du coté des militants nationalistes algériens, lorsqu’en janvier 1936 le Front Populaire se contenta de prévoir « la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur la situation en Afrique du Nord »[21]. Une fois de plus les nationalistes algériens se sentaient « trahis » par leurs « camarades » de la gauche française.
Un mois plus tard, l’Etoile Nord Africaine, le Comité de Défense des Libertés en Tunisie et le Comité de Défense des Intérêts Marocains présentèrent un plan de revendications immédiates pour l’ensemble du Maghreb. Afin de ne pas se heurter à un refus définitif de la part du Front Populaire, la question nationale n’y était pas clairement posée même si on pouvait la deviner à travers la revendication d’une assemblée représentative élue au suffrage universel qui pouvait être considérée comme un premier pas vers l’indépendance. Malgré les déceptions, le ton général restait celui de la confiance accordée aux forces de gauche. L’Etoile Nord Africaine ne voulait pas créer de difficultés au Front Populaire qui portait l’espoir d’une réforme du système colonial, même si elle maintenait ses exigences politiques. De son coté, la gauche française n’était pas prête à répondre aux attentes des nationalistes des trois pays du Maghreb.

Face à l’indifférence des dirigeants du Front Populaire concernant la question coloniale, les dirigeants nationalistes algériens posèrent plus nettement le problème de la libération nationale. Constatant que leurs revendications n’étaient pas prises en compte, ils étaient obligés d’affirmer leurs idées et leurs revendications de manières plus directes. Dès lors, la question était moins de ménager le Front Populaire que de s’opposer à toute politique d’assimilation. Au printemps 1936, à la gare de Lyon, devant plus de cinquante mille personnes rassemblées à l’occasion des obsèques d’Achechour, « un ouvrier algérien victime du fascisme », Messali Hadj déclarait : « la politique d’assimilation ne peut se faire, elle est condamnée par la raison, par la justice et par l’histoire. La seule solution du problème est l’émancipation totale de l’Afrique du Nord et nous disons franchement que nous désirons et nous souhaitons voir se réaliser cette émancipation par l’aide effective de la France, en considération des intérêts communs »[22].

Malgré la montée en puissance des idées nationalistes révolutionnaires au sein de l’immigration maghrébine, le Front Populaire restait sourd face aux revendications étoilistes et ce même si les militants de l’ENA continuaient à manifester aux côtés des organisations de gauche. Afin de faire entendre leurs revendications spécifiques, les militants étoilistes constituaient des cortèges distincts au cours de ces manifestations. Pour se distinguer des militants de gauche, les nationalistes algériens, copiant la gestuelle islamique de l’attestation de l’unicité divine, levaient l’index lorsque les premiers levaient le poing. Il n’était plus question pour les nationalistes algériens de manifester derrière une gauche coloniale au nom de mots d’ordre sans rapport avec leur combat spécifique.
Le 24 mai 1936, devant le mur des fédérés, dix mille maghrébins vinrent commémorer la Commune de Paris, en même temps que l’insurrection algérienne de 1871 menée par Mohammed el-Mokrani et le Cheikh el-Haddad de la confrérie soufie Rahmaniya. Par ce geste, les militants nationalistes montraient que pour eux la question sociale et la question nationale étaient intimement liées dans leur combat pour la libération du Maghreb.
Malgré l’empathie originelle des militants nationalistes à l’égard de la gauche, le ton de l’Etoile Nord Africaine se faisait plus offensif à l’égard du Front Populaire. Ce dernier ne souhaitait pas répondre aux revendications des nationalistes algériens qui n’étaient pas au centre des préoccupations de son électorat. En juin 1936, El-Ouma affirmait que « le gouvernement des camarades d’hier répond aux cris d’angoisse du peuple nord-africain en lui envoyant des Commissions ». Pour l’ENA, les exigences à l’égard de la gauche ne devaient pas être moins grandes qu’à l’égard de la droite : « Assez de commission à gauche, assez de démagogie à droite. Nous sommes chez nous, exigeons le droit à la vie »[23].
Malgré ces critiques, l’Etoile Nord Africaine ne désirait pas encore rompre définitivement avec les forces de gauche. Ne souhaitant entrer dans un conflit ouvert, l’ENA continuait à manifester aux côtés des organisations de gauche. Le 14 juillet 1936, à l’occasion du défilé parisien six mille Maghrébins qui avaient constitué leur propre cortège, défilèrent derrière des mots d’ordre spécifiques exprimant leur nationalisme : « Libérez l’Afrique du Nord, Libérez la Syrie, Libérez le monde arabe ! »[24].
Face à l’indifférence du Front Populaire, les nationalistes algériens ne pouvaient qu’enterrer les espoirs qu’ils avaient placés dans l’avènement d’un gouvernement de gauche. Cette gauche n’était pas prête à renoncer à la domination française sur le Maghreb et n’entendait pas satisfaire les revendications des organisations nationalistes maghrébines. L’été 1936 marqua la fin des dernières illusions que les nationalistes algériens pouvaient avoir vis-à-vis d’une gauche tout aussi attachée que la droite à maintenir « l’ordre colonial». De « l’autre côté de la rivière »[25] qui coupait le monde colonial en deux entités distinctes, le monde des colonisateurs et celui des colonisés, l’Etoile Nord Africaine devait faire face aux forces qui s’étaient rassemblées au sein du Congrès Musulman.
L’Etoile Nord Africaine contre l’assimilationnisme
Le Congrès Musulman avait pour but de rassembler tous les mouvements politiques et socio-culturels algériens. L’idée avait été lancée par le président de l’association des Ouléma, le Cheikh Abdelhamid Ben Badis, puis elle fut reprise et diffusée par Lamine Lamoudi, le rédacteur en chef du journal La Défense, proche des Ouléma. Le Congrès Musulman rassemblait des mouvements aux stratégies politiques et aux idéologies différentes, voire opposées.
Le Congrès Musulman était composé de mouvements assimilationnistes qui niaient l’existence d’une identité et d’une nation algérienne, comme les Elus et les communistes, et d’un mouvement authentiquement national, comme l’association des Ouléma, dont l’un des buts central était de préserver l’identité algérienne notamment à travers la défense de la langue arabe, de l’histoire algérienne et de l’islam.
En raison des différences importantes existant entre ces mouvements, les jugements que portait sur eux l’Etoile Nord Africaine, étaient extrêmement variables. Avant même la constitution du Congrès Musulman, les Elus, et notamment le Docteur Bendjelloul, furent violemment condamnés en tant que partisans de l’assimilation. Pour les nationalistes révolutionnaires algériens, les partisans de l’assimilation étaient des « traîtres » qui avaient renoncé à leur identité spécifique au profit de la France et de la francisation. Les assimilationnistes étaient considérés comme des « bourgeois » enclins au compromis avec l’occupant et ayant renoncé aux traditions nationales.
Pour les nationalistes, les assimilationnistes étaient regardés comme des étrangers à la nation algérienne car trop occidentalisés. L’organe de l’ENA, El-Ouma, affirmait à leur propos : « Le Docteur Bendjelloul, le khalife Djelloul et leurs compagnons n’ont pas le droit de parler de nous et de l’islam. Ils sont indignes de l’islam et de la société arabe. Partez hommes sans cœur, sans courage, sans dignité. Que ceux qui sont animés du même esprit s’en aillent de l’autre côté : qu’ils se fassent naturaliser et qu’ils nous laissent travailler pour la construction de notre patrie »[26].

En revanche, l’Etoile Nord Africaine soutenait l’action culturelle et religieuse de l’association des Ouléma, même si elle n’en partageait pas les choix politiques. Si, dans leur grande majorité, ils n’avaient pas l’érudition des Ouléma, les militants nationalistes révolutionnaires partageaient avec eux la référence culturelle et religieuse à l’islam comme socle de l’identité nationale algérienne. De même, les militants de l’Etoile partageaient avec les réformateurs la condamnation de l’assimilationnisme.
Le principal reproche formulé par l’Etoile Nord Africaine contre les islahistes algériens était leur alliance avec des mouvements assimilationnistes qui niaient l’existence de la nation algérienne. En juillet 1936, El-Ouma s’étonnait de voir « les meilleurs musulmans » accepter de s’allier avec « ceux qui nient l’existence de la nation algérienne » et aux « partisans de l’assimilation qui rêvent en français et qui aspirent ardemment à la francisation de l’Algérie »[27]. Le secrétaire général de l’ENA, Amar Imache, précisait la position de son mouvement à l’égard de l’association des Ouléma en janvier 1937 : « Nous n’avons rien contre les Oulémas, nous sommes au contraire heureux du travail qu’ils ont fait du point de vue de la langue arabe et de la religion mais nous, nous sommes en droit de les critiquer dans le domaine politique. Libre à eux de demander le rattachement de l’Algérie à la France, libre à nous de critiquer cette conception »[28].

Malgré les différences existant entre les Elus, les Ouléma et les communistes, l’idée d’un Congrès Musulman prit réellement forme le 17 mai 1936, au Cercle du Progrès d’Alger, au cours d’une réunion présidée par le Docteur Bendjelloul, le Cheikh Ben Badis et Lamine Lamoudi. L’élection du Front Populaire en France avait créé des espoirs de réforme en Algérie. Pour les différents mouvements intéressés par la construction d’un Congrès Musulman, c’était l’occasion de faire valoir leur point de vue. Ils espéraient que l’arrivée de la gauche française au pouvoir allait permettre de rompre avec la politique coloniale afin d’introduire de réelles réformes.
Au cours de cette réunion du 17 mai, il fut décidé de la création d’un comité « chargé de faire auprès des masses populaires une utile propagande pour la réunion d’un Congrès Musulman algérien, qui se tiendra dans le courant de juin et aura pour mission d’arrêter un programme de réforme »[29]. A la suite de la réunion, des comités se formèrent dans toutes les grandes villes d’Algérie afin de faire entendre les revendications de ce qui devait devenir le Congrès Musulman, aux organisations membres du Front Populaire. Les futurs membres du Congrès Musulman voulaient accorder leur confiance au Front Populaire qui venait d’arriver au pouvoir, pour faire aboutir ses propositions.
Le Congrès Musulman se réunit le 7 juin 1936 à Alger au cinéma Majestic. Pour l’évènement, « des délégués étaient venus de tous les coins d’Algérie, désignés par des comités locaux créés un peu partout dans le pays. Ces derniers avaient désigné des élus, des notables, des oulamas et des communistes pour les représenter ; on avait pris soin de ne pas faire figurer officiellement des militants nationalistes de l’Etoile, jugés extrémistes et susceptibles de demander l’impossible au Front Populaire. C’était du moins la thèse défendue par les dirigeants communistes et approuvée par les mouvements réformistes des Elus et des Oulamas »[30].
A la fin de la réunion, le Congrès Musulman adopta une charte qui posait deux revendications principales : l’égalité c’est-à-dire la fin de l’exception, le droit commun et le rattachement de l’Algérie à la France avec la suppression de tous les rouages spéciaux ; la représentation parlementaire des musulmans algériens. Par ces revendications, le Congrès Musulman refusait de poser le problème algérien en termes national, donc en termes de décolonisation et de libération, et optait résolument pour une politique assimilationniste dans la lignée des revendications des Elus et des communistes. Le Congrès entérinait la colonisation comme un fait acquis et les revendications posées avaient uniquement pour but de faire des colonisés algériens des citoyens français à part entière. Selon Benyoucef Ben Khedda, « c’était en d’autres termes, réclamer l’intégration pleine et entière à la France, et reconnaître « les liens indéfectibles » de l’Algérie avec la France dont faisaient état les assimilationnistes »[31].

L’Etoile Nord Africaine affirma son hostilité au principe d’intégration de l’Algérie à la France, ce qui lui valut d’être définitivement écartée du Congrès Musulman. Pour celui-ci, l’union devait se faire sur des revendications minimales susceptibles d’être acceptées par le gouvernement du Front Populaire. Le Congrès ne pouvait accepter une organisation, jugée trop radicale, qui luttait pour l’indépendance de l’Algérie alors qu’il demandait son rattachement à la France. Au final, « les communistes avaient atteint leur objectif : un « Front populaire musulman » sans nationalistes de l’Etoile, un programme assimilationniste acceptable par le Front Populaire, la souveraineté française n’étant pas mise en cause. […] Les élus et les notables étaient satisfaits […]. Leur rêve de devenir des Français à part entière tout en restant musulmans, pouvait être satisfait par le Front Populaire. […] Les Oulamas s’étaient engagés dans la voie politique, et leur option restait encore marquée par des ambiguïtés et des contradictions »[32].

Après cette réunion, en juillet 1936, une délégation du Congrès Musulman se rendit à Paris pour présenter la Charte revendicative, adoptée au mois de juin, aux responsables politiques français. Cette délégation fut reçue le 23 juillet par Léon Blum qui dit sa joie de voir des « français recevoir d’autres français, des démocrates d’autres démocrates »[33] et leur promit de s’occuper personnellement des revendications « indigènes ». Par ces formules, Blum signifiait toute l’ambiguïté de la politique de la gauche française vis-à-vis des Algériens : en les qualifiants de « Français », il niait aux Algériens leur identité spécifique ce qui empêchait de poser la question algérienne en termes de libération nationale ; et en parlant de revendications « indigènes », ils refusaient aux Algériens – même à ceux qui se réclamaient de la France – l’égalité des droits que certains revendiquaient. L’indépendance était déniée au nom d’une francité imposée aux Algériens et l’égalité était refusée en raison du statut d’« indigènes » dans lequel les officiels français les enfermaient. L’assimilation et la spécificité étaient utilisées simultanément pour rationaliser la domination coloniale.
Après cette rencontre avec Léon Blum, la délégation du Congrès Musulman fut reçue par les principaux représentants des partis de gauche français : les groupes parlementaires SFIO et radical-socialiste ; les ministres Paul Faure, Daladier, Rivière et Suzanne Lacorre. Une délégation comprenant Ferhat Abbas et le Cheikh Ben Badis se rendit au Comité Central du PCF où elle fut reçue par Maurice Torez. Après ces entretiens, le Cheikh Abdelhamid Ben Badis, quelque peu désabusé, écrivait dans son journal : « Nous sommes revenus les mains vides et elles demeurent encore vides »[34].
En plus de ces entretiens avec les organisations françaises de gauche, une délégation du Congrès Musulman, composée de Ferhat Abbas, du Cheikh Ben Badis et de Tahrat, eut une conversation avec Amar Imache, Messali Hadj, Akli Banoune et Mohammed Si Djilali, de l’Etoile Nord Africaine. Le président de l’ENA leur fit part de son opposition à la politique assimilationniste de rattachement de l’Algérie à la France promue par le Congrès. Il reprocha aux Ouléma, seul mouvement objectivement national du Congrès Musulman, de s’être alliés aux Elus, dont la politique assimilationniste et pro-française était revendiquée. Ebranlé par ces critiques, le Cheikh Abdelhamid Ben Badis fit remarquer à Messali Hadj qu’il était facile de tenir à Paris, loin des réalités algériennes et de la répression coloniale, un langage révolutionnaire mais qu’il était plus difficile de montrer la même radicalité en Algérie. Messali Hadj lui promit alors de venir présenter les thèses étoilistes en Algérie le plus rapidement possible. Dans ces conditions, Messali Hadj décida de faire le voyage d’Alger.

Messali Hadj : « Cette terre est à nous, nous ne la vendrons à personne ! »
De retour en Algérie, les membres de la délégation du Congrès Musulman tinrent à faire un compte rendu de leur séjour à Paris le jour même de leur arrivée à Alger, le 2 août 1936, au cours d’un grand meeting.
Un appel avait été « lancé dans les journaux et par des invitations au peuple algérien pour assister à un grand rassemblement » qui devait se tenir « au stade municipal » car la plus grande salle d’Alger ne pouvait pas contenir tous ceux qui désiraient se rendre au meeting. Le Congrès Musulman avait fait naître des espoirs de réformes dans la population algérienne qui attendait avec un grand intérêt les résultats du voyage de la délégation. « Dès les premiers rayons du soleil, des groupes importants de la population ont afflué sur le lieu de la réunion. A 7 heures du matin, le spectacle qu’offrait cette foule qui ne cessait de grossir était impressionnant et étonnant. A chaque arrivée d’un membre de la délégation une grande ovation et des applaudissements ininterrompus l’accueillaient. C’était le cas à l’arrivée des cheikhs Ben Badis, El Ibrahimi et El Okbi. Il en était de même à l’arrivée des élus : les docteurs Bachir et Lakhdari, Mrs Boukherdenna, Amara Ferchoukh et Abderrahmane Bouchama »[35].

Accueilli par Mohammed Mestoul, Messali Hadj qui avait prit le même bateau que les membres de la délégation, se rendit au stade municipal d’Alger avec quelques militants nationalistes révolutionnaires actifs sur le territoire algérien afin d’intervenir au cours du meeting pour présenter les thèses de l’Etoile Nord Africaine à la population de la capitale. En cette matinée d’août, près de vingt mille personnes s’étaient rassemblées dans l’enceinte sportive. Selon le journal el-Bassaïr, le président de l’Etoile Nord Africaine « fit son entrée au stade entouré de ses partisans et des membres de son association. Il salua l’assistance qui l’applaudissait particulièrement au moment où il fit le tour du stade, porté sur les épaules de ses partisans »[36].

Le meeting qui devait débuter à 7h 30, ne commença qu’à 8h 45 du fait du retard de la délégation dirigée par le Dr Bendjelloul, le président de la fédération des Elus. Très attendu, celui-ci « fut ovationné à son arrivée. Accompagné de collègues, il fit le tour du stade, applaudi chaleureusement, de tous les côtés »[37]. Après ce tour d’honneur, la délégation qui venait de faire le déplacement de Paris, fut présentée au public. Une fois la présentation effectuée, la parole fut donnée dans l’ordre à Amar Ouzegane pour le PCA, au Dr Bendjelloul, au Dr Bachir, Boukerdenna pour les Elus, puis aux chouyoukh Abdelhamid Ben Badis et Bachir el-Ibrahimi pour l’association des Oulémas.
Après ces interventions, Messali Hadj demanda la parole. Elle lui fut donnée car « le rassemblement s’est fait au nom du peuple musulman algérien tout entier avec toutes ses organisations et ses partis, il n’était pas possible aux membres de la délégation d’interdire la participation de qui que ce soit et de lui refuser la parole s’il la demande sous réserve qu’il est responsable de ses principes et de ses idées »[38].
Le leader nationaliste dénonça la politique assimilationniste de rattachement de l’Algérie à la France du Congrès Musulman. Pour Messali, l’Algérie n’était pas la France, elle avait été liée de force par la conquête, et ne pouvait trouver son salut que par l’accession à l’indépendance totale : « nous disons franchement, catégoriquement, que nous désapprouvons la Charte revendicative, quant au rattachement de notre pays à la France et la représentation parlementaire. En effet, notre pays se trouve, aujourd’hui, administrativement rattaché à la France et dépend de son autorité centrale. Mais ce rattachement a été la conséquence d’une conquête brutale, suivie d’une occupation militaire qui repose présentement sur le 19ème Corps d’Armée, et auquel le peuple n’avait jamais donné son adhésion »[39].
Contre les choix politiques du Congrès Musulman, le leader de l’Etoile Nord Africaine affirmait sa légitimité à parler au nom du peuple algérien : « nous sommes, nous aussi, les enfants du peuple algérien et nous n’accepterons jamais que notre pays soit rattaché à un autre pays contre sa volonté ; nous ne voulons sous aucun prétexte hypothéquer l’avenir, l’espoir de la liberté nationale du peuple algérien »[40]. Par opposition à la politique de rattachement à la France, Messali exposa la revendication principale de l’Etoile Nord Africaine c’est-à-dire « la création d’un Parlement algérien, élu au suffrage universel, sans distinction de race ni de religion. Ce parlement national algérien, étant sur place, travaillera sous le contrôle direct du peuple et pour le peuple. Nous pensons, quant à nous, que c’est là le seul moyen pour permettre au peuple algérien de s’exprimer librement et franchement, à l’abri de toute oppression et intrigue administrative »[41]. Il conclut son discours en se baissant et en ramassant une poignée de terre algérienne puis s’exclama : « Cette terre est à nous, nous ne la vendrons à personne ! »[42]
Le discours de Messali Hadj fut salué frénétiquement par le stade municipal d’Alger. L’Etoile Nord Africaine venait de faire une entrée fracassante sur la scène politique algérienne. Le succès des idées étoilistes découlait du fait qu’elles exprimaient les réalités sociales vécues par des milliers d’algériens. Selon Ahmed Mahsas, « l’intervention de Messali Hadj apportait un souffle nouveau […]. Elle mettait à nu les atermoiements, les tactiques, les contradictions des autres courants politiques »[43].
Les thèses nationalistes révolutionnaires agissaient comme un révélateur des contradictions inhérentes à un système social intrinsèquement inégalitaire. La contradiction principale du système colonial, à savoir l’opposition, ontologique et consubstantielle de l’action de coloniser, entre colonisateur et colonisé était clairement posée. Ce déchirement du voile mystifiant, construit par les appareils hégémoniques coloniaux pour masquer la réalité sociale, permettait la désignation de « l’ennemi politique » prélude à toute action politique collective.
L’ennemi, pour les nationalistes révolutionnaires, était le système colonial qui avait soumis les hommes, conquis le pays et accaparé les terres de la majorité, violé les consciences et aliéné les esprits de quelques uns. Pour eux, les problèmes de l’Algérie ne pouvaient pas se poser en termes uniquement sociaux mais devait l’être en termes nationaux, c’est-à-dire en termes d’indépendance et de libération, seule façon de détruire l’ennemi qu’était le système colonial. En cela, le discours du 2 août 1936 fut un réel tournant dans l’histoire de l’Algérie contemporaine.
Les dirigeants du Congrès Musulman ne surent pas comment réagir devant le soutien populaire dont bénéficia le discours du président de l’Etoile Nord Africaine. Seul le Cheikh Tayeb el-Okbi osa critiquer le discours de Messali. Selon le journal el-Bassaïr, alors dirigé par le Cheikh el-Okbi, le dirigeant réformateur expliqua « qu’il n’était pas d’accord avec Messali et ses compagnons sur l’idée de revendiquer l’indépendance qui n’est pas à la portée du peuple algérien. Celui-ci n’est pas à même d’assurer cette revendication tant qu’il est dépendant dans ses pensées, ses connaissances et les principes de sa vie, et tant qu’il n’a pas pu se libérer du joug de certains marabouts qui l’ont asservi au nom de la religion, alors qu’ils sont étrangers aux enseignements de la véritable religion. Comment peut voler celui qui n’a ni ailes, ni plumes. Mais nous demandons la liberté et l’égalité dans la vie et les droits comme tous les autres fils de la France. Nous avons vu et constaté les effets de la véritable liberté et la démocratie réelle en France. Nous aspirons à bénéficier de la même en Algérie. »[44]. Puis, « il exprima la confiance de la délégation dans les hommes du gouvernement, particulièrement M. Violet le père indulgent de l’Algérie et M. Blum qui nous a captivé par son accueil agréable »[45]. Le Cheikh el-Okbi conclut son allocution en exhortant le public du stade municipal d’Alger au calme et « à se conformer au civisme musulman dans les rues et les réunions privées et publiques et à s’éloigner des causes qui provoquent la violence jusqu’à ce que le gouvernement actuel prenne ses décisions »[46].
Le discours de Messali Hadj, d’une radicalité peu commune aux dirigeants politiques algériens de l’époque, fut qualifié de « plus grand discours anti-français » jamais tenu en Algérie par Rozis le maire d’Alger, car le président de l’Etoile Nord Africaine avait « réclamé, devant plus de huit mille personnes, le constitution d’une nation algérienne musulmane »[47]. Le 4 août, dans La dépêche d’Alger, le Docteur Bendjelloul écrivit à propos « d’un certain Messali el Hadj, porte-parole de l’Etoile » : « En attendant après le discours de Messali, je crie : « Assez ! Assez de propagande sacrilège, de promesses inconsidérées et de folles excitations ! Assez de bobards communo-nationalistes : l’Algérie est française et le restera »[48].
Après ce discours, l’action de l’Etoile Nord Africaine commença à se déployer au grand jour en Algérie. L’implantation de l’Etoile Nord Africaine bénéficia du travail déjà effectué par le PNR et par les premiers militants étoilistes. Messali Hadj décida de rester dans son pays natal afin d’organiser le mouvement nationaliste révolutionnaire. Un comité central, présidé par Messali Hadj qui était assisté de Moufdi Zakaria et de Mohamed Mestoul, fut mis en place. Accompagné d’Hocine Lahouel[49] qui fut désigné comme l’un des premiers permanents du parti, Messali Hadj entama une tournée de trois mois à travers toute l’Algérie afin de faire connaître les idées de l’Etoile Nord Africaine sur l’ensemble du territoire algérien et de structurer le parti afin de lui donner une réelle efficacité dans la lutte contre le système colonial. De nombreuses sections furent créées au cours de la tournée. La popularité des idées nationalistes révolutionnaires était nette puisque au moment de sa dissolution par le gouvernement du Front Populaire, le 26 janvier 1937, soit moins d’un an après l’entrée de Messali Hadj à Alger, l’Etoile Nord Africaine comptait déjà 30 sections et 31 projets de section sur l’ensemble du territoire algérien.
Youssef Girardhttp://www.lequotidienalgerie.org/tag/tlemcen/
 
Discours de Messali Hadj au Stade d’Alger (2 août 1936)
Messieurs, mes frères,
Au nom de l’Etoile Nord Africaine je vous apporte le salut fraternel, la solidarité des 200 000 Nord-africains qui résident en France. Par respect à notre langue nationale, la langue arabe que nous chérissons tous et que nous admirons, et aussi pour la noblesse du peuple algérien, brave, généreux j’ai tenu à m’exprimer, après un exil de douze ans, en ma langue maternelle, devant vous : je suis heureux et profondément satisfait de pouvoir, aujourd’hui, prendre contact officiellement avec vous et profiter de l’occasion qui m’est offerte pour vous dire combien je suis à la fois heureux et ému de poser mon pied sur le sol de nos ancêtres et de vous dire combien j’ai souffert dans mon âme d’avoir été longtemps éloigné de ma patrie.
[Après avoir salué l’assistance en langue arabe, Messali présenta en français l’historique de l’Etoile Nord Africaine et précisa la politique de son organisation.]
Certes, nous approuvons les revendications immédiates, qui sont modestes, légitimes qui se trouvent dans la Charte revendicative qui a été présentée au Gouvernement du Front populaire, et que nous appuierons de toutes nos forces pour les voir se réaliser, malgré leurs faiblesses, car la revendication la plus petite, la plus infime nous intéresse au plus haut point parce qu’elle contribuera à soulager la misère de cette malheureuse population.
Ici, je prends l’engagement, au nom de mon organisation, devant le vénérable Cheikh Ben Badis, de faire tout ce qu’il est humainement possible pour appuyer ces revendications et pour servir la noble cause que nous défendons tous. Mais nous disons franchement, catégoriquement, que nous désapprouvons la Charte revendicative, quant au rattachement de notre pays à la France et la représentation parlementaire.
En effet, notre pays se trouve, aujourd’hui, administrativement rattaché à la France et dépend de son autorité centrale. Mais ce rattachement a été la conséquence d’une conquête brutale, suivie d’une occupation militaire qui repose présentement sur le 19ème Corps d’Armée, et auquel le peuple n’avait jamais donné son adhésion.
Or, le rattachement dont il est question dans la Charte revendicative est demandé volontairement, au nom d’un Congrès qui, soi-disant, représente l’unanimité du peuple algérien.
Il y a par conséquent une différence fondamentale entre le rattachement de notre pays, acquis contre notre volonté, et le rattachement volontaire accepté de plein gré au Congrès qui s’est tenu le 7 juin, à Alger (Congrès bâclé en trois heures de temps). Nous sommes, nous aussi, les enfants du peuple algérien et nous n’accepterons jamais que notre pays soit rattaché à un autre pays contre sa volonté ; nous ne voulons sous aucun prétexte hypothéquer l’avenir, l’espoir de la liberté nationale du peuple algérien.
Cet avenir appartient à la génération qui vient et c’est à elle seule qu’appartiendra le droit de décider comment elle entend diriger son sort et sa destinée. Nous sommes aussi contre la représentation parlementaire pour de multiples raisons. Et nous sommes pour la suppression des Délégations financières, du gouvernement général et pour la création d’un Parlement algérien, élu au suffrage universel, sans distinction de race ni de religion.
Ce parlement national algérien, étant sur place, travaillera sous le contrôle direct du peuple et pour le peuple. Nous pensons, quant à nous, que c’est là le seul moyen pour permettre au peuple algérien de s’exprimer librement et franchement, à l’abri de toute oppression et intrigue administrative.
Il ne m’est pas possible, en si peu de temps, de dire à ce peuple généreux d’Algérie tout ce que je voudrais lui dire, j’ai déjà dépassé le temps qui m’a été limité par l’honorable délégation, cependant je voudrais attirer votre attention en vous demandant, mes frères, de comprendre, de réfléchir et de bien examiner, sans emportement, le problème de notre pays qui se joue devant vous. Quoique très fatigué et déprimé par une traversée pénible, je viens à l’instant de descendre du bateau, je ne voudrais pas quitter cette tribune avant de vous exprimer toute ma joie, toute mon émotion de me retrouver parmi vous, sur le sol de notre patrie.
Enfin, avant de conclure mon intervention, je remercie l’honorable délégation qui a bien voulu me permettre de parler à cette tribune.
J’ai entendu, tout à l’heure, les orateurs qui m’ont précédé, dire avec combien d’égards et de bienveillance ils ont été reçus en France par le gouvernement du Front populaire, je ne veux pas discuter ou amoindrir l’atmosphère dans laquelle cette réception s’est déroulée, mais je dis que le peuple algérien se doit d’être vigilant. Il ne suffit pas d’envoyer une délégation présenter un cahier de revendications, ni trop se leurrer sur les réceptions et attendre que les choses se réalisent toutes seules.
Mes frères, il ne faut pas dormir sur vos deux oreilles maintenant et croire que toute l’action est terminée, car elle ne fait que commencer.
Il faut bien vous organiser, vous unir au sein de vos organisations pour être forts, pour être respectés, et pour que votre voix puissante puisse se faire entendre de l’autre côté de la Méditerranée.
Pour la liberté et la renaissance de l’Algérie, groupez-vous en masse autour de votre organisation nationale, l’Etoile nord-africaine, qui saura vous défendre et vous conduira dans le chemin de l’émancipation.
Je termine en criant : A bas le Code de l’indigénat, à bas la loi d’exception et de haines des races ; vive le peuple algérien, et vive l’Etoile nord-africaine !
El-Ouma, 26 août 1936
[1] Sur le Parti National Révolutionnaire cf. Planche Jean-Louis, « Aux origines de l’Etoile Nord Africaine à Alger. Le Parti National Révolutionnaire », in. Actes de colloque, L’Etoile Nord Africaine et le mouvement national algérien, 27 février au 1 mars 1987, Ed. Centre culturel algérien, Paris, 1988, pages 147-164. [2] Mestoul Mohammed né en 1907 à Alger, responsable du PNR en 1931, de l’ENA en 1933 et du PPA en 1937 à Alger.
[3] Mezerna Ahmed (1907-1982) responsable du PNR en 1932, de l’ENA en 1933 et du PPA en 1937 à Alger ; membre du Comité Central du MTLD en 1946 ; responsable du MNA en 1954.
[4] Khelifa Ben Amar responsable du PNR, membre de la direction de l’ENA et du PPA en Algérie entre 1934 et 1939 ; dirigeant des AML en 1944 ; membre de la direction du MNA entre 1955 et 1961.
[5] Khider Mohammed (1912-1967) adhérant du PNR puis de l’ENA ; membre de la direction du PPA d’Alger en 1938 ; député MTLD en 1946 ; membre du Comité Central du MTLD en 1946 ; inculpé dans l’affaire de OS se réfugie au Caire où il est représentant du MTLD ; ministre du GPRA en 1958 ; fait alliance avec Ahmed Ben Bella en 1962 et devient secrétaire général et trésorier du FLN ; participe à la fondation de l’association islamique Al-Qiyam ; passe dans l’opposition en exil à partir de 1964 ; assassiné le 4 janvier 1967.
[6] Harbi Mohammed, 1954, La guerre commence en Algérie, Ed. Complexe, Bruxelles, 1998, page 135. Selon Harbi les deux autres évènements sont : premièrement, la décision d’interdire la double appartenance prise par l’ENA en mai 1933 qui permettait à l’Etoile de s’émanciper définitivement du PCF ; deuxièmement, le regroupement au sein des AML entre mars 1944 et mai 1945 des proches de Ferhat Abbas, des Ouléma et du PPA afin de promouvoir l’idée de nation algérienne qui marquait le ralliement des assimilationnistes aux conceptions nationalistes.
[7] Cf. Bouguessa Kamel, Aux sources du nationalisme algérien, Les pionniers du populisme révolutionnaire en marche, Casbah Editions, Alger, 2000, pages 165-168. A propos de cette institution de surveillance, Malek Bennabi écrivit dans ses mémoires que « « l’indigénat avait traversé plus aisément la Méditerranée que les « indigènes » ». Cf. Bennabi Malek, Mémoires d’un témoin du siècle, Ed. Samar, Alger, 2006, page 102.
[8] Sayad Abdelmalek, La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Ed. Seuil, Paris, page 147.
[9] Moneta Jacob, Le PCF et la question coloniale (1920-1965), Ed. Maspéro, Paris, 1971, page 39
[10] Kaddache Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, tome 1, 1919-1939, Ed. Paris-Méditerranée, Paris, 2003, page 121. Notons, cependant, que cet anti-colonialisme communiste ne s’appliqua pas aux colonies russes d’Asie Centrale et du Caucase. Lénine entérinera cette domination coloniale en disant que « le droit au divorce ne signifie pas forcément l’obligation de divorcer » in. Lénine, « Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », 1916 ; in Œuvres, Moscou-Paris, Ed. du Progrès, Vol. XXII. Cette formule sera reprise par Maurice Thorez lorsque le PCF abandonnera sa politique anti-colonialiste pour justifier la domination française. Ce fut notamment le cas en décembre 1937 lors du IXème Congrès du Parti Communiste Français à Arles.
[11] Ibid. – Au cours du Congrès de Tours, la minorité Blum-Bracke qui garda la « vieille maison » de la SFIO, avait déclaré se refuser à « confondre le mouvement de révolte des peuples opprimés avec le travail de libération prolétarienne », cette confusion « tendant à fausser la lutte des classes et à déclencher la guerre des races contraire à ces principes de fraternité et à sa volonté de paix ». Cf. Girardet Raoul, L’idée coloniale en France de 1871-1962, Ed. Hachette, Paris, 2005, page 214.
[12] Dans un télégramme adressé à Abdelkrim, Jacques Doriot et Pierre Semard affirmaient : « Groupe parlementaire, Comité directeur du PC, Comité national des jeunesses communistes saluent la brillante victoire du peuple marocain sur les impérialistes espagnols. Ils félicitent son vaillant chef Abdel-Krim. Espère qu’après la victoire définitive sur l’impérialisme espagnol il continuera, avec le prolétariat français et européen, la lutte contre tous les impérialismes, français y compris, jusqu’à la libération complète du sol marocain. Vive l’Indépendance du Maroc ! Vive la lutte internationale des peuples colonisés et du prolétariat mondial ! » L’Humanité, 11 décembre 1924.
[13] Cet engagement au sein de la CGTU se manifesta notamment lors du premier Congrès des travailleurs Nord-Africains tenu le 7 décembre 1924 à Paris. Cf. « Le premier Congrès des Travailleurs Nord-Africains », URL : http://oumma.com/Le-premier-Congres-des
[14] Cf. Harbi Mohammed, Le FLN mirage et réalité, Des origines à la prise du pouvoir (1945-1962), Ed. Jeune Afrique, Paris, 1980, page 18.
[15] Ben Khedda Benyoucef, Les origines du premier novembre 1954, Ed. CNERMR, Alger, 2004, page 41.
[16] Ibid.
[17] Ibid., page 40.
[18] Harbi Mohammed, 1954, La guerre commence en Algérie, op. cit., page 124.
[19] Kaddache Mahfoud,, Histoire du nationalisme algérien, Tome I, 1919-1939, op. cit., page 317.
[20] Ibid., page 437.
[21] Ibid.
[22] Ibid., page 438.
[23] Ibid., page 437.
[24] Stora Benjamin, Messali Hadj, 1898-1974, Ed. Hachette, Paris, 2004, page 145.
[25] Abdel-Malek Anouar, La dialectique sociale, Ed. Seuil, Paris, 1972.
[26] Kaddache Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, tome 1, 1919-1939, op.cit., page 436.
[27] Ibid., page 440 – Mohammed Harbi évoqua une solidarité de classe, puisque les Elus et les dirigeants Ouléma se recrutaient massivement au sein de la « bourgeoisie » algérienne, ce qui aurait incité les Ouléma à faire alliance avec des assimilationnistes éloignés d’eux sur le plan idéologique. Malek Bennabi parla, pour expliquer ce fait, d’un « complexe d’infériorité » des Ouléma face aux intellectuels de culture occidentale, les « intellectomanes », qu’ils jugeaient comme « leurs protecteurs ».
[28] Ibid., page 444.
[29] Ibid., page 393.
[30] Ibid., page 398.
[31] Ben Khedda Benyoucef, Les origines du premier novembre 1954, op. cit., 2004, page 49.
[32] Kaddache Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, tome 1, 1919-1939, op. cit., page 401.
[33] Ibid., page 404.
[34] Ibid., page 405.
[35] Article d’El-Bassaïr, cité par Ben Khedda Benyoucef in. Les origines du premier novembre 1954, op. cit., page 279.
[36] Ibid., page 280.
[37] Ibid.
[38] Ibid.
[39] Cf. annexe.
[40] Ibid.
[41] Ibid.
[42] Stora Benjamin, Dictionnaire biographique de militants nationalistes algériens, L’Harmattan, Paris, 1985, page 62.
[43] Mahsas Ahmed, Le mouvement révolutionnaire en Algérie, De la 1ère guerre mondiale à 1954, el Maarifa, Alger, 2007, page 108.
[44] Cité par Benyoucef Ben Khedda in. Les origines du premier novembre 1954, op. cit., page 281.
[45] Ibid.
[46] Ibid.
[47] Kaddache Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, tome 1, 1919-1939, op.cit., page 442.
[48] Stora Benjamin, Messali Hadj, 1898-1974, op. cit., pages 148-149.
[49] Lahouel Hocine né en 1917 ; dirigeant de la section ENA et PPA d’Alger (1936-1939); membre du comité central du MTLD en 1946 ; secrétaire générale du MTLD en 1951 ; membre du FLN.
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