Salam 3alaykoom!
voici un texte d'Amir al moezzi sur l'>Imam Ali as à voir avec un regard critique mais qui reste interressant!
1Au-delà des prises de position et des polémiques séculaires, en particulier entre Sunnites et Shi’ites, il est indéniable que la figure de ʿAlī b. Abī Ṭālib, gendre et cousin du prophète Muḥammad, quatrième calife des Musulmans et premier imam des Shi’ites, a une importance particulière dans l’histoire et la spiritualité de l’islam. Je dis bien « figure » de ʿAlī et non son personnage historique sur lequel presque rien de certain n’est connu, si ce n’est quelques événements majeurs dans leurs grands contours. Dans un article, paru il y a une vingtaine d’années et resté célèbre, Jacqueline Chabbi avait souligné l’impossibilité d’établir une biographie historique de Muḥammad tant les sources sur lui sont tardives, contradictoires, pleines d’approximations et d’erreurs, théologiquement et politiquement orientées, car appartenant à des temps différents de l’époque du Prophète et à des mouvements religieux divergents [1][1]J. Chabbi, « Histoire et tradition sacrée. La biographie…. De son côté, Harald Motzki, savant que l’on peut difficilement qualifier d’hypercritique à l’égard des sources musulmanes, souligne le dilemme des historiens qui veulent écrire sur la vie de Muḥammad : « On the one hand, it is not possible to write a historical biography of the Prophet without being accused of using the sources uncritically, while on the other hand, when using the sources critically, it is simply not possible to write such a biography » [2][2]H. Motzki, « Introduction », dans Id. (éd.), The Biography of….
2Le personnage de ʿAlī est sans doute aussi problématique, voire davantage, que celui du Prophète. Il constitue en effet le centre de gravité de trois événements historiques indissociables, dans leur genèse comme dans leurs développements ultérieurs, événements majeurs qui ont façonné les débuts de l’islam et conditionné son destin jusqu’à nos jours : le problème de la succession du Prophète, les conflits et guerres civiles entre les Musulmans qui ont duré plusieurs siècles et enfin l’élaboration des sources scripturaires à savoir le Coran et le Hadith [3][3]Voir maintenant M. A. Amir-Moezzi, Le Coran silencieux et le…. Les qualificatifs évoqués plus haut pour les sources sur Muḥammad peuvent s’appliquer mutatis mutandis à celles consacrées à ʿAlī, à cette différence près que, autour de celui-ci et son entourage (par exemple son épouse Fāṭima ou son fils al-Ḥusayn), les clivages paraissent avoir été encore plus violents [4][4]M. A. Amir-Moezzi, Le Coran silencieux, op. cit., chapitre 1 ;…. Ainsi, la vie du ʿAlī historique semble perdue dans le tourbillon des conflits qui secouèrent les premiers temps et les premiers écrits de l’islam [5][5]Les ouvrages, voire des encyclopédies, de type hagiographique…. En revanche, faire une histoire des diverses représentations de ʿAlī dans les différents milieux musulmans est envisageable et c’est à quelques aspects de cette histoire qu’est consacrée la présente étude.
3Commençons par quelques traits de ces représentations intéressant notre propos, en nous fondant notamment sur les éclairantes synthèses qui viennent d’être mentionnées (note 5).
4Toutes sortes de sources sont unanimes sur quelques qualités de ʿAlī : sa bravoure – portée par une force physique quasiment surhumaine – en tant que combattant de la foi aux côtés du Prophète (et pourtant après la mort de celui-ci, il n’aurait pris part à aucune expédition militaire), son éloquence, son excellente connaissance du Coran et de la sunna prophétique ainsi que sa perpétuelle insistance sur le devoir de les appliquer, la violente hostilité des grands personnages de Quraysh à son égard, notamment les Omeyyades, hostilité remontant probablement à la bataille de Badr, laquelle aboutit aux conflits qui entourèrent la mort et la succession de Muḥammad, et qui fit du règne de ʿAlī une suite ininterrompue de guerres civiles et, d’une manière générale, plaça ʿAlī, son entourage et ses partisans au centre de luttes intestines (et d’élaborations doctrinales) qui durèrent plusieurs siècles [6][6]Voir aussi H. Lammens, Études sur le règne du Calife Omaiyade…. Grâce notamment à ses relations privilégiées avec Dieu et le Prophète ainsi qu’au discours de ce dernier à Ghadīr Khumm, les Alides, devenus plus tard des Shi’ites, considèrent ʿAlī comme le seul successeur légitime de Muḥammad. Au-delà de sa signification politique, cette succession possède indéniablement une dimension profondément religieuse. Pour des raisons qui restent encore à préciser, ʿAlī semble avoir été très tôt, aux yeux de ses fidèles, un personnage sacré qui fit évoluer, peut-être de son vivant, le personnage historique en une figure héroïque aux dimensions quasi divines, occupant le centre de ce que de nombreuses sources anciennes appellent « la religion de ʿAlī » (dīn ʿAlī) [7][7]Gh. Ḥ. Ṣadīqī, Jonbesh hā-ye dīnī-ye īrānī dar qarn hā-ye…. Personnage inspiré par Dieu, dépositaire de toutes sortes de connaissances, Preuve de Dieu (ḥujjat allāh), il acquiert bientôt une dimension eschatologique : arbitre (qasīm) du Jour du Jugement, intercesseur auprès de Dieu (shafīʿ) ou encore échanson (sāqī) du bassin paradisiaque de Kawthar dans l’Au-delà. À travers l’imamologie et la métaphysique shi’ites, aussi bien dans les courants principaux « modérés », comme l’imamisme duodécimain (principale branche du shi’isme) et l’ismaélisme septimain (autre branche importante de l’islam shi’ite), que dans les sectes dites « extrémistes » (ghulāt), ʿAlī devient la figure théophanique par excellence, manifestation des Noms de Dieu, ou celle du ʿAlī céleste, symbole suprême de la divinité, et ce jusqu’à nos jours [8][8]Voir E. Kohlberg, art. « ʿAlī b. Abī Ṭāleb, ii. ʿAlī as seen by…. On trouve un grand nombre de ces qualificatifs caractérisant la figure de ʿAlī dans le soufisme, shi’ite évidemment, mais également sunnite, ou encore dans le grand mouvement « chevaleresque » panislamique des guildes et des corporations de métiers, appelé dès le Moyen Âge la futuwwa. Au sein de ce mouvement, notre personnage est considéré comme le sayyid al-fityān (« le Seigneur des compagnons-chevaliers ») et la devise spécifique de la futuwwa est la sentence censée avoir été prononcée par la voix divine lors de la bataille de Uḥud : lā fatā illā ʿAlī lā sayfa illā dhū l-faqār (« Pas de chevalier hormis ʿAlī, pas de sabre hormis Dhū l-faqār) [9][9]E. Kohlberg, art. « ʿAlī b. Abī Ṭāleb, ii. ʿAlī as seen by the…. Enfin, il faut souligner la place centrale de ʿAlī dans le shi’isme dit « populaire » où il est l’objet d’une véritable dévotion en tant qu’homme divin par excellence, le maître de tous les miracles, le héros des batailles contre les mécréants et contre toutes sortes de démons, le champion de nombreux épopées populaires et le personnage principal d’un certain nombre de pièces du théâtre religieux shi’ite, la taʿziya [10][10]E. Kohlberg, art. « ʿAlī b. Abī Ṭāleb, ii. ʿAlī as seen by the….
5Revenons à présent à notre sujet. « ʿAlī est indissociable du Coran comme le Coran est indissociable de ʿAlī » [11][11]11. ʿAlī maʿa l-Qur’ān wa l-Qur’ān maʿa ʿAlī… (littéralement :…. Cette tradition prophétique, rapportée ici dans sa version la plus simple transmise par des sources sunnites, l’est également bien entendu, et avec moult variantes, par d’innombrables ouvrages shi’ites. Elle résume à merveille la perception qu’ont les Alides en général et les Shi’ites imamites en particulier du caractère privilégié des relations qui lient le Livre saint à leur premier imam.
6De manière plus globale, dans le shi’isme, le Coran et la sainte famille prophétique sont indissolublement liés comme cela est illustré par la fameuse tradition prophétique des Deux Objets Précieux (littéralement « Deux Objets de Poids », ḥadīth al-thaqalayn). Transmis avec de nombreuses variantes, accepté aussi bien par les Sunnites que les Shi’ites mais évidemment avec des interprétations différentes, ce hadith attribué au prophète Muḥammad déclare en substance que celui-ci laisse derrière lui et en héritage pour sa communauté « Deux Objets Précieux » indissociables à savoir sa Famille et le Livre de Dieu [12][12]Voir maintenant le recueil de toutes les sources de ce hadith…. Ce propos prophétique établit donc entre les deux éléments une relation organique, voire, pour certains, une équivalence dans leur sacralité au sein de l’économie spirituelle de l’islam. L’identité du Coran étant connue, chaque grande tendance politico-religieuse de l’islam naissant essaya de récupérer à son propre profit l’identité du second élément, à savoir « la Famille prophétique » exprimée de diverses façons : ʿitra (famille, parents), ahl al-bayt (Gens de la Demeure), āl al-rasūl (Famille de l’Envoyé), āl al-nabī (Famille du Prophète)… Même les Omeyyades, issus des Banū ʿAbd Shams, c’est-à-dire les ennemis héréditaires des Banū Hāshim auxquels appartenait Muḥammad, revendiquèrent un moment ce titre, mais cette prétention disparut très vite après leur chute. Pour certains parmi les premiers Sunnites, selon différentes interprétations, la formule désignait soit les épouses du Prophète, soit l’ensemble des croyants, c’est-à-dire toute la communauté islamique (cette dernière signification va contre la lettre et l’esprit de la version majoritaire du hadith selon laquelle les Deux Objets sont destinés à la communauté et donc distincts d’elle). Finalement, la raison élémentaire aidant, la plupart des Sunnites finirent eux-mêmes par accepter que la Famille de Muḥammad signifie, soit d’une façon globale l’ensemble des Banū Hāshim – ce que soutenaient l’ensemble des descendants de ce clan, en particulier les Abbassides –, soit, de façon plus restreinte, la famille immédiate de Muḥammad, à savoir sa fille Fāṭima, son gendre et cousin germain ʿAlī et les deux fils de ces deux derniers al-Ḥasan et al-Ḥusayn – ce que soutenaient depuis toujours les Alides proto-Shi’ites et plus tard les Shi’ites, toutes tendances confondues [13][13]Pour les discussions sur les différents sens donnés à la….
7 Dans cette équation concernant le Livre saint et la Famille prophétique, ʿAlī occupe la place centrale. À travers les traditions reliant le premier imam au Coran, on peut distinguer trois « moments » distincts et en même temps inséparables : ʿAlī comme exégète inspiré du Livre, les allusions du Coran à ʿAlī et les mentions explicites de ce dernier dans le Coran.
voici un texte d'Amir al moezzi sur l'>Imam Ali as à voir avec un regard critique mais qui reste interressant!
I. IntroductionÀ Carmela Baffioni,
En hommage amical
1Au-delà des prises de position et des polémiques séculaires, en particulier entre Sunnites et Shi’ites, il est indéniable que la figure de ʿAlī b. Abī Ṭālib, gendre et cousin du prophète Muḥammad, quatrième calife des Musulmans et premier imam des Shi’ites, a une importance particulière dans l’histoire et la spiritualité de l’islam. Je dis bien « figure » de ʿAlī et non son personnage historique sur lequel presque rien de certain n’est connu, si ce n’est quelques événements majeurs dans leurs grands contours. Dans un article, paru il y a une vingtaine d’années et resté célèbre, Jacqueline Chabbi avait souligné l’impossibilité d’établir une biographie historique de Muḥammad tant les sources sur lui sont tardives, contradictoires, pleines d’approximations et d’erreurs, théologiquement et politiquement orientées, car appartenant à des temps différents de l’époque du Prophète et à des mouvements religieux divergents [1][1]J. Chabbi, « Histoire et tradition sacrée. La biographie…. De son côté, Harald Motzki, savant que l’on peut difficilement qualifier d’hypercritique à l’égard des sources musulmanes, souligne le dilemme des historiens qui veulent écrire sur la vie de Muḥammad : « On the one hand, it is not possible to write a historical biography of the Prophet without being accused of using the sources uncritically, while on the other hand, when using the sources critically, it is simply not possible to write such a biography » [2][2]H. Motzki, « Introduction », dans Id. (éd.), The Biography of….
2Le personnage de ʿAlī est sans doute aussi problématique, voire davantage, que celui du Prophète. Il constitue en effet le centre de gravité de trois événements historiques indissociables, dans leur genèse comme dans leurs développements ultérieurs, événements majeurs qui ont façonné les débuts de l’islam et conditionné son destin jusqu’à nos jours : le problème de la succession du Prophète, les conflits et guerres civiles entre les Musulmans qui ont duré plusieurs siècles et enfin l’élaboration des sources scripturaires à savoir le Coran et le Hadith [3][3]Voir maintenant M. A. Amir-Moezzi, Le Coran silencieux et le…. Les qualificatifs évoqués plus haut pour les sources sur Muḥammad peuvent s’appliquer mutatis mutandis à celles consacrées à ʿAlī, à cette différence près que, autour de celui-ci et son entourage (par exemple son épouse Fāṭima ou son fils al-Ḥusayn), les clivages paraissent avoir été encore plus violents [4][4]M. A. Amir-Moezzi, Le Coran silencieux, op. cit., chapitre 1 ;…. Ainsi, la vie du ʿAlī historique semble perdue dans le tourbillon des conflits qui secouèrent les premiers temps et les premiers écrits de l’islam [5][5]Les ouvrages, voire des encyclopédies, de type hagiographique…. En revanche, faire une histoire des diverses représentations de ʿAlī dans les différents milieux musulmans est envisageable et c’est à quelques aspects de cette histoire qu’est consacrée la présente étude.
3Commençons par quelques traits de ces représentations intéressant notre propos, en nous fondant notamment sur les éclairantes synthèses qui viennent d’être mentionnées (note 5).
4Toutes sortes de sources sont unanimes sur quelques qualités de ʿAlī : sa bravoure – portée par une force physique quasiment surhumaine – en tant que combattant de la foi aux côtés du Prophète (et pourtant après la mort de celui-ci, il n’aurait pris part à aucune expédition militaire), son éloquence, son excellente connaissance du Coran et de la sunna prophétique ainsi que sa perpétuelle insistance sur le devoir de les appliquer, la violente hostilité des grands personnages de Quraysh à son égard, notamment les Omeyyades, hostilité remontant probablement à la bataille de Badr, laquelle aboutit aux conflits qui entourèrent la mort et la succession de Muḥammad, et qui fit du règne de ʿAlī une suite ininterrompue de guerres civiles et, d’une manière générale, plaça ʿAlī, son entourage et ses partisans au centre de luttes intestines (et d’élaborations doctrinales) qui durèrent plusieurs siècles [6][6]Voir aussi H. Lammens, Études sur le règne du Calife Omaiyade…. Grâce notamment à ses relations privilégiées avec Dieu et le Prophète ainsi qu’au discours de ce dernier à Ghadīr Khumm, les Alides, devenus plus tard des Shi’ites, considèrent ʿAlī comme le seul successeur légitime de Muḥammad. Au-delà de sa signification politique, cette succession possède indéniablement une dimension profondément religieuse. Pour des raisons qui restent encore à préciser, ʿAlī semble avoir été très tôt, aux yeux de ses fidèles, un personnage sacré qui fit évoluer, peut-être de son vivant, le personnage historique en une figure héroïque aux dimensions quasi divines, occupant le centre de ce que de nombreuses sources anciennes appellent « la religion de ʿAlī » (dīn ʿAlī) [7][7]Gh. Ḥ. Ṣadīqī, Jonbesh hā-ye dīnī-ye īrānī dar qarn hā-ye…. Personnage inspiré par Dieu, dépositaire de toutes sortes de connaissances, Preuve de Dieu (ḥujjat allāh), il acquiert bientôt une dimension eschatologique : arbitre (qasīm) du Jour du Jugement, intercesseur auprès de Dieu (shafīʿ) ou encore échanson (sāqī) du bassin paradisiaque de Kawthar dans l’Au-delà. À travers l’imamologie et la métaphysique shi’ites, aussi bien dans les courants principaux « modérés », comme l’imamisme duodécimain (principale branche du shi’isme) et l’ismaélisme septimain (autre branche importante de l’islam shi’ite), que dans les sectes dites « extrémistes » (ghulāt), ʿAlī devient la figure théophanique par excellence, manifestation des Noms de Dieu, ou celle du ʿAlī céleste, symbole suprême de la divinité, et ce jusqu’à nos jours [8][8]Voir E. Kohlberg, art. « ʿAlī b. Abī Ṭāleb, ii. ʿAlī as seen by…. On trouve un grand nombre de ces qualificatifs caractérisant la figure de ʿAlī dans le soufisme, shi’ite évidemment, mais également sunnite, ou encore dans le grand mouvement « chevaleresque » panislamique des guildes et des corporations de métiers, appelé dès le Moyen Âge la futuwwa. Au sein de ce mouvement, notre personnage est considéré comme le sayyid al-fityān (« le Seigneur des compagnons-chevaliers ») et la devise spécifique de la futuwwa est la sentence censée avoir été prononcée par la voix divine lors de la bataille de Uḥud : lā fatā illā ʿAlī lā sayfa illā dhū l-faqār (« Pas de chevalier hormis ʿAlī, pas de sabre hormis Dhū l-faqār) [9][9]E. Kohlberg, art. « ʿAlī b. Abī Ṭāleb, ii. ʿAlī as seen by the…. Enfin, il faut souligner la place centrale de ʿAlī dans le shi’isme dit « populaire » où il est l’objet d’une véritable dévotion en tant qu’homme divin par excellence, le maître de tous les miracles, le héros des batailles contre les mécréants et contre toutes sortes de démons, le champion de nombreux épopées populaires et le personnage principal d’un certain nombre de pièces du théâtre religieux shi’ite, la taʿziya [10][10]E. Kohlberg, art. « ʿAlī b. Abī Ṭāleb, ii. ʿAlī as seen by the….
5Revenons à présent à notre sujet. « ʿAlī est indissociable du Coran comme le Coran est indissociable de ʿAlī » [11][11]11. ʿAlī maʿa l-Qur’ān wa l-Qur’ān maʿa ʿAlī… (littéralement :…. Cette tradition prophétique, rapportée ici dans sa version la plus simple transmise par des sources sunnites, l’est également bien entendu, et avec moult variantes, par d’innombrables ouvrages shi’ites. Elle résume à merveille la perception qu’ont les Alides en général et les Shi’ites imamites en particulier du caractère privilégié des relations qui lient le Livre saint à leur premier imam.
6De manière plus globale, dans le shi’isme, le Coran et la sainte famille prophétique sont indissolublement liés comme cela est illustré par la fameuse tradition prophétique des Deux Objets Précieux (littéralement « Deux Objets de Poids », ḥadīth al-thaqalayn). Transmis avec de nombreuses variantes, accepté aussi bien par les Sunnites que les Shi’ites mais évidemment avec des interprétations différentes, ce hadith attribué au prophète Muḥammad déclare en substance que celui-ci laisse derrière lui et en héritage pour sa communauté « Deux Objets Précieux » indissociables à savoir sa Famille et le Livre de Dieu [12][12]Voir maintenant le recueil de toutes les sources de ce hadith…. Ce propos prophétique établit donc entre les deux éléments une relation organique, voire, pour certains, une équivalence dans leur sacralité au sein de l’économie spirituelle de l’islam. L’identité du Coran étant connue, chaque grande tendance politico-religieuse de l’islam naissant essaya de récupérer à son propre profit l’identité du second élément, à savoir « la Famille prophétique » exprimée de diverses façons : ʿitra (famille, parents), ahl al-bayt (Gens de la Demeure), āl al-rasūl (Famille de l’Envoyé), āl al-nabī (Famille du Prophète)… Même les Omeyyades, issus des Banū ʿAbd Shams, c’est-à-dire les ennemis héréditaires des Banū Hāshim auxquels appartenait Muḥammad, revendiquèrent un moment ce titre, mais cette prétention disparut très vite après leur chute. Pour certains parmi les premiers Sunnites, selon différentes interprétations, la formule désignait soit les épouses du Prophète, soit l’ensemble des croyants, c’est-à-dire toute la communauté islamique (cette dernière signification va contre la lettre et l’esprit de la version majoritaire du hadith selon laquelle les Deux Objets sont destinés à la communauté et donc distincts d’elle). Finalement, la raison élémentaire aidant, la plupart des Sunnites finirent eux-mêmes par accepter que la Famille de Muḥammad signifie, soit d’une façon globale l’ensemble des Banū Hāshim – ce que soutenaient l’ensemble des descendants de ce clan, en particulier les Abbassides –, soit, de façon plus restreinte, la famille immédiate de Muḥammad, à savoir sa fille Fāṭima, son gendre et cousin germain ʿAlī et les deux fils de ces deux derniers al-Ḥasan et al-Ḥusayn – ce que soutenaient depuis toujours les Alides proto-Shi’ites et plus tard les Shi’ites, toutes tendances confondues [13][13]Pour les discussions sur les différents sens donnés à la….
7 Dans cette équation concernant le Livre saint et la Famille prophétique, ʿAlī occupe la place centrale. À travers les traditions reliant le premier imam au Coran, on peut distinguer trois « moments » distincts et en même temps inséparables : ʿAlī comme exégète inspiré du Livre, les allusions du Coran à ʿAlī et les mentions explicites de ce dernier dans le Coran.