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Traduction du livre "Père, amour et fils" de Seyed Mahdi Shojai sur le récit du martyre d'Ali Akbar (as)

Hassanat

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Salam alaikom


A l'occasion d'Arbaïn, je vous présente la traduction du livre "Père, amour et fils" de Seyed Mahdi Shojai (écrivain iranien) sur le récit du martyre d'Ali Akbar (as) par son cheval, un livre qui peut intéresser les jeunes et les enfants;
L'auteur a autorisé la traduction et la mise en ligne sur le site Al imane mais se réserve les autres droits

وَعَلَىٰ اوْلاَدِ ٱلْحُسَيْنِ وَعَلَىٰ اوْلاَدِ ٱلْحُسَيْنِ وَعَلَىٰ عَلِيِّ بْنِ ٱلْحُسَيْن اَلسَّلاَمُ عَلَىٰ ٱلْحُسَيْنِ





Au nom de Dieu, clément et miséricordieux

Première partie :

Il semble qu’il ait été décrété que chaque jour, je me rappelle une partie de ce récit douloureux et que je te le raconte. C’est ce que j’avais décidé de faire mais sans l’aide de Dieu, cela assurément, n’aurait pas été possible.

Les blessures couvraient le corps, le sang coulait de partout. Je ne devais pas m’en sortir. Je ne devais pas survivre. Sans la volonté évidente de Dieu, je n’aurais pas dû revenir ici. Sur toute la route, me disant cela à moi-même et à ce seul compagnon, je me disais que j’étais resté vivant pour te raconter ce qui était arrivé et je suis sûr que c’est la raison de ma survie après cet ouragan de malheurs et de fitna.

Leila ! Ne me regarde pas avec ces yeux remplis de larmes et de tristesse. Je ne suis pas capable de supporter davantage ce cœur brulant et ces regards attristés. Bien que tu aies ajouté chaque jour un nouveau remède à mes blessures et que j’aie ajouté chaque jour des peines à ton cœur déjà brisé, qui peut voir et supporter une telle tristesse dans les yeux d’une femme et rester debout alors qu’un torrent de larmes brulantes coule sous ses pieds ? Leila ! fais preuve de patience et lis dans mes yeux les dernières pages de cette tragédie. Je ne pense plus à survivre. Je n’ai survécu que pour déposer ce fardeau, rembourser cette dette et accomplir ce devoir. Quel devoir est plus lourd que celui de raconter le martyre de son maitre ? Quelle dette est plus difficile à payer que celle de raconter cet évènement sanglant ? Quel récit est plus difficile que celui de raconter à sa mère, le récit d’un héros ? C’est pour cette raison que ma vie prendra fin après avoir rempli cette mission.

A une époque, mon plus grand souhait était de vivre longtemps, mais la mort est aujourd’hui, mon plus grand souhait. Chez les chevaux, on dit d’un cheval qui vit très longtemps, qu’il est le cheval du prophète !

Si les humains considèrent qu’un élixir peut leur donner une vie éternelle, les chevaux considèrent qu’être la monture du prophète est une source d’éternité. Demande à n’importe quel cheval comment avoir une vie éternelle. Il te dira que ce n’est pas possible, si tu insistes, il dira « à moins d’avoir été le cheval du prophète ».

Or cela est une chose impossible car le prophète est apparu il y a quelques années seulement alors que cette expression existe chez les chevaux depuis toujours, et beaucoup de chevaux dans l’Histoire, sont venus au monde avec ce souhait qu’il ont emporté avec leur mort.

Or ce souhait jusque-là impossible, quand le parfum du prophète s’est répandu dans le monde, a pris une couleur différente. Mon père Ayazdab et son père Qabel, pensaient tous deux qu’ils verraient ce souhait se réaliser car on disait qu’un cheval de notre descendance qui remonte à Tonbad, aurait cet honneur, mais c’est moi qui ai eu cet honneur et comme j’ai été heureux quand j’ai entendu cette nouvelle.

Quand Seif ben Zi Yazan m’a offert à Mohammad qui avait cinq ans à l’époque et l’a mis sur mon dos, j’ai levé les pattes de devant en signe de bonheur suscitant l’inquiétude des oncles du prophète qui sont accourus alors que je n’aurais pas fait tomber mon cher cavalier et il le savait bien lui-même. D’un signe de la main, il a rassuré ses oncles disant que c’était le signe de mon enthousiasme et qu’« aigle » était trop intelligent pour faire tomber son cavalier.

Si ce n’était pas Mohammad, comment savait-il que je m’appelle « aigle » alors que Seif ne lui avait pas dit mon nom.

Tu ne me croiras pas si je te dis qu’à cet instant, j’avais oublié tous les espoirs et même les espoirs de longue vie. Pourquoi souhaiterais-je une longue vie ? Si cette longue vie m’avait été accordée, je l’aurais sacrifiée à un instant avec le prophète mais Dieu m’avait donné les deux, une longue vie et la présence du prophète (as), et grâce au prophète, des bienfais les uns après les autres.

Après le prophète, je suis devenu le cheval d’Ali (as) et ensuite le cheval de l’Imam Hassan et de l’Imam Hossein (as). L’Imam Hossein (as) qui avait un cheval nommé Zul Janan (le cheval aux deux ailes), m’avait donné à Ali Akbar (as) c’est-à-dire « au prophète (as) » une fois de plus, car Ali Akbar était celui qui lui ressemblait le plus. Je suis peut-être le seul cheval qui ait compris le secret de cette longue vie. Pendant ces 110 années de service à ces brillants cavaliers, le temps et ma vie ne passaient pas. Ces 110 années étaient comme un rêve qui s’est terminé avec la tragédie d’Ashura. Et moi qui n’ai pas senti le poids de la vie pendant ces 110 ans, depuis Ashura, je porte le fardeau de tous les chevaux dans l’Histoire. C’est pourquoi je suis si fatigué, Leila ! Je suis très fatigué et seule la mort pourra mettre un terme à cette fatigue. (à suivre)
 
Dernière édition:
Salamou 'alaykoum

Pour plus d'impact, il serait nécessaire de choisir un titre en rapport direct avec le sujet et d'ensuite poster dans la catégorie adéquate.

Je m'occupe des modifications pour vous.
 
deuxième partie​



Comment me suis-je endormi hier soir? Qu’est-ce que j’ai dit ? jusqu’à où ai-je fait le récit ? je n’ai rien compris. Au milieu de la nuit, j’ai été réveillé par tes pleurs. J’ai approché mon corps fatigué doucement de la fenêtre. J’ai vu que tu étais sur ton tapis de prières, le visage couvert de larmes qui coulaient sur ton voile. Je ne comprenais pas ce que tu te disais à Dieu. Je voyais seulement que tu poussais un cri et tombais à côté du tapis, puis tu te relevais en larmes, criais une nouvelle fois et t’évanouissais encore et encore….. et moi jusqu’au matin, près de la fenêtre, je t’ai suivie dans tes prières et j’ai pleuré.

Tes larmes nocturnes m’ont rappelé les pleurs de Hossein à la mort du prophète, et ont réveillé en moi, le souvenir de la naissance du cher Ali Akbar. Hossein était peut-être celui qui a le plus souffert à la mort du prophète. Bien qu’il soit un enfant à l’époque, cette blessure ne s’est jamais guérie. Il a tellement pleuré, il a tellement sangloté que les anges du ciel en ont été bouleversés et si cela n’était pas une parole impie, je dirais que même Dieu a été bouleversé par ce grand chagrin.

Pour le consoler, Dieu lui a donné un fils qui ressemblait plus que quiconque au prophète, un « autre » prophète en quelque sorte. Te rappelles-tu quand Ali Akbar est né, les gens sans s’en rendre compte, t’appelaient Ameneh et Ali, Mohammad ? cette ressemblance était étonnante. A sa naissance, j’ai senti l’odeur du prophète dans la cour. Tu te rappelles comme j’étais agité, mes hennissements et mes coups de sabots sur le sol ? Tout le monde s’en est étonné et je ne me suis calmé que quand on m’a montré l’enfant.

C’était Mohammad, vraiment. En dehors de moi, personne n’avait vu le prophète à cet âge. Qui dans la famille, avait vu le prophète à cinq ans ? Cet enfant au visage si beau ressemblait comme deux gouttes d’eau au beau prophète.

Quand je passais avec lui, dans les rues de Médine, les gens le regardaient et s’étonnaient de cette ressemblance.

Cela est aussi arrivé à Karbala. Je ne l’oublierai jamais, calme toi, laisse-moi te raconter :

Au début et pendant un certain temps, personne ne l’avait reconnu. Il avait couvert son visage, mis le turban de Sadjad sur la tête et portait une mentonnière accroché à son cou. Ses cheveux noirs frangés au milieu, couvraient son épaule et l’arrière de son cou. Sans dire un mot, il a commencé à parcourir le champ de bataille qu’il faisait trembler sous ses pieds, par sa prestance. Il serrait les jambes sur mon ventre, laissant le cœur des ennemis suspendu entre ciel et terre. Tout le monde retenait son souffle et tous les yeux regardaient avec inquiétude ce courageux cavalier. C’était comme s’il tenait en main une corde attachée aux cous des ennemis qui tournaient la tête vers lui et suivaient le parcours de « ce soleil ».

Je remarquais parfois des regards plus étonnés quand le vent soulevait le tissu qui recouvrait son visage, laissant apparaitre un pan de sa beauté. Imagine une lune dans le ciel qui joue avec le vent et les nuages, non, qui joue avec les regards. Chaque fois que les regards cherchaient à s’abreuver à cette source de lumière, le vent et les nuages la cachaient. Cependant, le nuage s’est dissipé, le voile s’est levé et la pleine lune est apparue dans son immense beauté.

Les ennemis se sont écriés : « Par Dieu, c’est le prophète lui-même ! C’est le dernier messager ! C’est le grand envoyé ! ».

Ibn Saad a pris peur. Il connaissait bien ce jeune cavalier mais que faire avec ce qui se passe dans la tête des gens ? Cette passivité et cette paralysie qui avaient pris ses soldats, lui retiraient le contrôle et empêchaient toute réussite.

Il s’est mit à crier : « Où sommes-nous et où est le prophète ? Vous avez perdu la raison ! »

Quelqu’un a dit d’une voix tremblante : « Qui est donc celui qui est apparu sur le champ de bataille ? J’ai vu le prophète de mes propres yeux, c’était lui quand il était jeune ».

Un autre a dit avec plus de fermeté : « Que je devienne aveugle si ce n’est pas le prophète que j’ai vu de mes propres yeux ! »

Un troisième s’est écrié en tirant son épée de son fourreau : « Tu nous a emmenés dans une guerre avec le prophète ?! »

Nous tournions et je frappais plus fort que jamais mes sabots sur le sol comme si je piétinais les cœurs des ennemis.

Saad fâché par la médiocrité et les railleries de ses soldats, s’écria : « Arrêtez avec ces imbécilités ! Réveillez-vous, C’est Ali Akbar qui est devant vous. Celui dont l’assassin recevra la grande récompense prévue ».

Si ces paroles ont dévoilé certaines vérité, personne cependant ne s’est avancé.

Si je suis autant décidé à parler ce soir, toi par contre tu n’es pas du tout en forme. Tes yeux sont remplis de larmes et tes joues humides.

Si seulement tes paupières n’étaient pas si enflées, si seulement ton dos n’était pas appuyé sur le mur et si seulement tes cheveux blancs ne tremblaient pas sur ton front ! Non, il vaut mieux que tu dormes, cela est meilleur pour cet esprit fatigué et ces yeux cernés. Dors ! Demain est aussi le jour de Dieu.
 
Troisième partie



Tu te souviens de ton ancêtre paternel, Urwah ibn Mas'ud al-Thaqafī, qui ressemblait plus que quiconque à Jésus, fils de Marie, et qui était un des quatre chefs au début de l’islam. D’autres part, à cause de ta mère, Meymuneh, fille d’Abou Sofian, et de ta grand-mère, fille d’ Abu al-'As ibn Umayyah, l’ennemi espérait mettre Ali Akbar de son côté.



Ali Akbar suscitait les convoitises à cause de sa beauté et de sa grandeur, de son courage, de sa ressemblance physique et morale au prophète, de ses qualités exceptionnelles d’un côté, et à cause de la cupidité avouée des ennemis due à ta filiation maternelle et à ta relation de sang avec le clan des Omeyyades et la tribu des Thaqif.



Tu connais l’origine de cette affaire, mais tu ne connais pas la version de Karbala. Tu te souviens de Mu’awiya qui une fois au pouvoir, demandait à ses courtisans qui méritait le plus, le poste de calife ? Ils répondait tous que c’était lui (Muʿawiya) qui méritait d’être à ce poste. Mais est-ce que tu te souviens de ces paroles de Mu’awiya qui se propagèrent sur toutes les lèvres à cette époque quand il dit qu’Ali Akbar, le fils de Hossein, méritait ce poste mieux que quiconque, car il descendait du prophète, possédait le courage des Bani Hashem, la générosité des Bani Omayyeh, la beauté, la réputation et la grandeur des Tharif.

Je me souvenais de ces paroles. Quand l’ennemi a envoyé une promesse de protection à Ali Akbar, je n’ai pas été très étonné. L’ennemi pensait que l’Imam serait vaincu s’il séparait de lui deux personnes, Ali Akbar fils de Hossein, et Abbas fils d’Ali.

Les soldats de l’Imam étaient tous des joyaux, des êtres chers, des aimés de Dieu, mais l’ennemi pensait que ces deux ailes, Ali et Abbas, permettaient à l’Imam de voler et de faire la démonstration de son pouvoir. Ils leur ont donc envoyé cette promesse de protection pour les séparer de l’Imam avant le combat, et pour que l’Imam atterrisse de force sur la terre de Karbala.

Quelle erreur ! Abbas avait vécu jusque-là dans l’espoir de mourir dans la défense de Hossein et voilà que l’ennemi avait pris sa mère Um ol Banin comme prétexte, pour se rapprocher de Abbas, en profitant de ses relations familiales avec la tribu des Baní Kalab. Cette proposition qu’ils ont aussi faite à Ali Akbar, était tout aussi stupide. L’ennemi s’était lourdement trompé et se débattait dans son ignorance. Ils voulaient séparer les cœurs, ont confondu l’œil et la vue, et imaginé que la lumière et le soleil pouvaient être séparés. Comme c’est stupide ! Ali, aux premiers instants a mis son sabre sur sa poitrine et s’est écrié : « Je descends du prophète. Ma fierté est mon lien de famille avec le prophète, le reste ne compte pas ».

La veille du jour d’Ashura, l’Imam a donné aux compagnons le droit de partir et les a délivrés de leurs obligations, ce sont ces deux héros (Ali et Abbas) qui ont insisté pour rester et ont renouvelé leur allégeance à l’Imam.

Chaque instant, de nouvelles informations parvenaient sur la trahison des gens de Koufa. Le meurtre de Muslem et de Hani, l’allégeance des gens de Koufa à Yazid, l’arrivée de troupes nombreuses à Karbala, la présence de nombreux anciens partisans de l’Imam dans les troupes de l’ennemi……Ceux qui étaient dans le camp de l’Imam mais n’étaient pas très proches, tremblaient de peur en entendant ces nouvelles.

L’Imam a dit : « C’est moi qu’ils veulent. Partez dans l’obscurité de la nuit et sauvez vos vies. Je suis satisfait de vous et je vous délivre de votre serment d’allégeance ». Parmi ce petit groupe, beaucoup sont partis et se sont fondus dans la nuit, les joyaux et les élus sont restés.

Abbas et Ali se sont levés et ont déclaré : « Le monde sans toi est vide, la vie sans toi n’a pas de sens, nous ne voulons pas de ce monde après toi ».

Au fait, il y a une chose que tu ne sais pas et que peut-être personne ne sait…….mais…..tes larmes ne me laissent pas parler, je t’en parlerai demain…..
 
quatrième partie



Abbas était chargé du ravitaillement en eau à Karbala. Abbas qu’on appelait « la lune » de Bani Hashem tellement il était beau. Il n’y a aucun doute là-dessus, mais tu ne sais peut-être pas que la nuit qui précédait le jour d’Ashura, c’est nous, moi et mon cavalier Ali Akbar, avec trente autres cavaliers et vingt soldats qui avons apporté l’eau. La raison de cette expédition était le petit Ali, Ali Asghar, le cher petit Ali Asghar.

J’étais près de la tente et je l’entendais pleurer. Peu à peu ses pleurs se sont transformés en cris, en gémissements, en supplications et en résignation.

Nous les chevaux, ne sommes pas des humains mais nous avons des sentiments. Mon cœur s’est brisé en entendant ses pleurs et je me suis mis aussi à pleurer à chaudes larmes.

J’espérais que mon cavalier se lèverait et se porterait volontaire pour aller chercher de l’eau. Je me disais que si cela arrivait, je le ferai passer sans problèmes, les lignes de l’ennemi. Je n’avais pas fini de faire ces vœux qu’Ali arriva, visiblement il ne supportait plus les pleurs de son petit frère.

Il a demandé à son père l’autorisation d’aller chercher de l’eau, en montrant l’enfant, j’étais moi-même inquiet depuis longtemps en entendant ces pleurs. L’Imam a accepté à condition qu’il ne parte pas seul, il fallait au moins trente cavaliers et vingt soldats pour occuper l’ennemi et ouvrir la voie qui mène au fleuve.

Mon maitre a accroché deux outres sur mon dos et nous sommes partis. Cela nous donnait une sécurité tout comme l’ivresse et la négligence de l’ennemi. Mais il n’y avait aucun moyen de passer, il y avait plusieurs rangées de soldats qui empêchaient l’accès au fleuve. Il fallait agir vite, car si l’ennemi et ces milliers de soldats comprenaient ce qui arrivait, nous ne pourrions que faire boire les chevaux.

Tout à coup, le bruit et l’éclat des sabres brisèrent le silence de la nuit. Nous étions au milieu de la troupe et les combats se déroulaient à l’avant. La voie s’est ouverte et avec mon maitre, nous nous sommes élancés vers le fleuve. Ali est descendu et à trempé les outres dans l’eau. Il m’a fait signe de boire de l’eau. Je le regardais et je me disais : « Je ne boirai pas tant que tu ne boiras pas ».

Il a lâché les outres et m’a regardé avec le regard d’un maitre à qui il est impossible de désobéir. J’ai plongé la tête dans l’eau en le regardant, mais sans bouger les lèvres ni la langue ni la bouche. Bien entendu, il a compris. Il a passé sa main humide sur ma tête et mes yeux, avec un regard si suppliant que j’aurais englouti toute l’eau du fleuve.

Il a rempli les outres sans même se mouiller les lèvres. Quand il est monté et quand il a mis les outres sur mes flancs remplis de sueur, j’ai entendu de nouveau les coups de sabres que son regard où je m’étais plongé quelques instants, m’avait fait oublier ainsi que toute présence.

L’eau est parvenue au campement sans aucun blessé. Seul le sang des ennemis coloraient mes sabots. Les rangs ennemis avaient été brisés et la terre était couverte de leur sang qui nous éclaboussait jusqu’à la tête et au cou.

Ali a posé les deux outres aux pieds de l’Imam souriant et a dit quelque chose qui m’a brisé le cœur. Il a dit : « Cher père, voici de l’eau pour ceux qui ont soif spécialement mon petit frère, et s’il en reste, moi aussi j’ai soif ».

Leila calme toi, le rappel de ce souvenir me brûle aussi le cœur.
 
Cinquième partie



La relation entre ce père et ce fils était difficile à comprendre. Je ne pense pas que dans l’univers, il existe une relation aussi profonde, aussi forte et aussi proche. J’ai toujours été fasciné par cette relation.

Parfois j’avais le sentiment que leur relation était plus qu’une relation entre père et fils, c’était la relation d’un jardinier avec la plus belle fleur qui existe au monde, une relation d’amour profond et réciproque, une relation entre deux êtres inséparables. J’avais le sentiment que la relation d’Ali avec son père dépassait l’amour d’un fils pour son père, et était une relation d’amour entre l’Imam et celui qui le suit. Une relation entre un guide spirituel et son élève, une relation d’amour, une relation entre l’amoureux et l’aimé, et si ce n’était pas exagéré et un péché, je dirais une relation entre l’adorateur et l’adoré. Comment qualifier cette relation entre ces deux manifestations du grand nom divin ? Je me perdais constamment dans le labyrinthe de cette exceptionnelle relation sans comprendre qui était le bien aimé et qui était l’amoureux. Est-ce que c’était Ali qui était le but et le bien aimé, ou Hossein ?

Si le maitre était Hossein et c’était Hossein en fait, comment expliquer sa façon de contempler Ali Akbar, sa carrure, son allure, son comportement et même ses battements de cils ? Si c’est Ali, comment expliquer son comportement protecteur envers Hossein ?

Je suis arrivé à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’une relation d’amour mais que tous les deux ne faisaient qu’un et étaient un symbole parfait d’amour.

Permets-moi de t’expliquer davantage :

Au milieu du chemin, l’Imam s’était assoupi sur son cheval, quand il s’est réveillé il a dit : « Tout vient de Dieu et retourne à Lui, louange à Dieu, maitre du monde ! ».

Mon maitre a demandé avec inquiétude : « Que je sois sacrifié pour toi , cher père, pourquoi cette phrase et pourquoi ces louanges ? »

L’Imam a regardé Ali dans les yeux et a dit : « Je me suis endormi et en rêve, j’ai vu un messager nous amener la nouvelle de notre mort. Il disait que cette caravane allait vers la mort ».

Mon maitre, Ali Akbar, a baissé les yeux et a embrassé la main de son père. « Cher Père, que Dieu te protège, de toutes façons, ne sommes-nous pas dans le bon droit ? »

Son père a répondu : « Si mon fils, je jure par celui qui détient ma vie en Ses mains et vers Qui nous allons retourner, que ce que nous disons est pure vérité ».

Son fils a dit alors : « Pourquoi donc craindre la mort ? »

Le père a souri en entendant ces mots. Non c’est tout son visage et ses yeux qui ont souri et il a dit : « Que Dieu t’accorde la plus grande récompense qu’un père puisse offrir à son fils, lumière de mes yeux ! »

Ne pleure pas Leila, calme-toi si tu veux que je continue. Ce n’était qu’un exemple de relation entre un père et un fils. Mais quel père et quel fils ! Un père au plus haut niveau de la création, qui contemple avec fierté le vol de son fils, au plus haut niveau de la perfection.

L’allégeance de Hor ben Yazid Riahi à l’Imam dans ce désert de vérité et cet isolement de spiritualité, a été un signe de la vérité de l’islam. Hor était venu pour se battre ou au moins, pour fermer la route à l’Imam mais il ne niait pas les relations entre l’Imam et le prophète, le statut de l’Imam auprès de Dieu ni la place de l’Imam dans la guidée de l’Ummah.

Il était encore dans le camps adverse quand il proposa de faire la prière derrière l’Imam.

L’Imam dit à Ali Akbar de réciter l’appel à la prière.

Pourquoi parmi tous ces prieurs et ces maitres coraniques, c’est Ali Akbar qui devait réciter l’appel à la prière ?

Quelle relation existait entre l’Imam et Ali Akbar, dans cet appel ? Quel sentiment attendait-il de l’appel à la prière d’Ali Akbar ? Je n’ai rien compris à cette relation ni à leurs entretiens.

Je me suis dit que l’Imam voulait peut-être rappeler le souvenir du prophète. Peut-être que l’Imam voulait voir la grandeur de l’islam dans la stature d’Ali Akbar.

Peut-être que l’Imam voulait par-là, rappeler et montrer son ancêtre au monde. peut-être voulait-il entendre son fils qu’il aimait plus que tout, réciter le dernier appel à la prière en ce monde. peut-être que l’Imam………………..Que puis-je comprendre ? Comment puis-je comprendre à quoi fait allusion Ali Akbar en criant Allaho Akbar, les yeux dans les yeux de son père.

Comment puis-je comprendre ce que ces deux échangent et donnent l’un à l’autre, dans ce regard.

Mais…..si seulement tu avais vu Ali Akbar quand il a mis la tenue de combat !

L’Imam a préparé Ali Akbar au combat avec plus de ferveur qu’on prépare un jeune marié pour la chambre nuptiale. Avec précision, il préparait ce cadeau qu’il faisait à Dieu.

Tous les compagnons étaient partis. L’un après l’autre, ils avaient demandé à l’Imam l’autorisation de combattre et étaient tombés en martyrs. L’Imam lui-même était prêt, les femmes de la famille du prophète et de Bani Hashem l’entouraient comme des papillons autour d’une flamme, pour l’empêcher de partir ou le dissuader. L’Imam avait réservé ce cadeau pour Dieu, celui qu’il aimait le plus. Il voulait peut-être envoyer et sacrifier les meilleurs en premier.

Peut-être pensait-il que tant que le fils de Hossein serait là, pourquoi envoyer les neveux, pourquoi envoyer le fils de Hassan, le fils d’Abbas ou le fils de Zeinab.

Ou peut-être avait-il été bouleversé par les paroles d’Ali Akbar qui avait dit : « Cher père, que Dieu ne me laisse pas vivre un instant après toi ! Le monde après toi n’existe pas pour moi ! Que mes yeux ne voient pas le monde après toi ! ».

C’est là que j’ai perdu toute compréhension sur cette relation, le fils parlait au père de sacrifice mais le regard du père contemplait le fils. Ali Akbar a embrassé la main de son père qui l’embrassait de son regard, de la tête aux pieds.

Tout s’écroula quand les combattants comprirent qu’Ali Akbar avait obtenu l’autorisation de partir au combat.

Si seulement tu avais vu cela Leila ! Non, il vaut mieux que tu ne l’aies pas vu, comment aurais-tu supporté de voir ton fils, Ali Akbar, partir au combat ? Imagine que tous les jeunes dans le monde, se soient réunis dans une seule personne. Imagine que la beauté et le parfum de toutes les fleurs aient été donnés à une seule fleur. Imagine que Dieu se soit manifesté dans une personne ! Heureusement que tu n’étais pas là à cet instant douloureux de l’adieu.

Sakineh était là et avait pris son frère dans les bras. Roqaye frottait la poussière des chaussures de son frère. Abbas….on aurait dit qu’Abbas venait de trouver le Coran, il ne caressait pas Ali, il le louait. Il ne l’embrassait pas, il le vénérait.

Il tournait autour de lui, prêt à se sacrifier pour lui, de telle sorte que je me suis dit qu’Abbas allait se prosterner devant lui. Quel monde d’amour entre eux !

Heureusement que tu étais absente, Leila ! Qui pouvait supporter de si grandes manifestations d’affection ?

Laisse-moi te parler de Zeinab. Son souvenir met le feu à tout mon être.

Que voulais-tu faire à Karbala ? Tu voulais manifester tes sentiments de mère ? te frapper la poitrine ? te griffer le visage ? le remplir d’affection à son départ ? lui laver les pieds avec tes larmes ? Que voulais-tu faire que Zeinab n’a pas fait ? Je jure par toutes les larmes des mères dans le monde, que si tu avais été présente, les gens auraient encore cru que Zeinab était sa mère. Ecoute Leila ! Que je sois sacrifié à la grandeur de Zeinab ! Que je meure de souffrance si ces paroles doivent enflammer mon cœur ! A Karbala, on se demandait qui était la mère de ces deux jeunes, Mohammad et Awn, les neveux de Hossein, car aucune femme ne les accompagnait. Aucune mère ne se frappait le visage pour eux. Aucune femme ne se recouvrait de poussière en signe de deuil. Aucune femme ne pleurait ni ne criait. Pourquoi Hossein était-il le seul à s’occuper de ces deux jeunes ?

Je me contenterai de te dire que Hossein a du séparer Ali Akbar et Zeinab. Avant cela, chaque fois que les filles et les femmes se mettaient à pleurer et à crier, l’Imam envoyait Ali Akbar pour les calmer mais maintenant, c’était celui qui calmait les autres qui les quittait. Qui Hossein devait envoyer dorénavant et pour calmer qui ? Quel cœur et corps blessés pouvaient panser les blessures des autres ? Zeinab, les femmes et les filles de Bani Hashem empêchaient Ali Akbar de partir au front. Une le tenait par la ceinture, l’autre par son vêtement, l’autre par le cou, l’autre par les pieds. Comment pouvait-il partir face à ces immenses signes d’affection ? C’est pour cela que Hossein, d’un mot, a mis un terme à ces tremblements et a dit à Zeinab et aux femmes : « Laissez-le partir, il est maintenant avec Dieu, a atteint le sommet de la soumission et est prêt à rencontrer son Seigneur. Considérez-le dès maintenant comme un martyr pour l’amour de Dieu. Attendez-vous à le voir blessé, roulant dans son sang, mais ayant rejoint son Bien aimé ».

A ces paroles, les mains des femmes se délièrent et Zeinab poussa un cri qui brisa les cœurs, les cheveux en signe de deuil, elle se griffait le visage, le regard égaré et les yeux remplis de larmes.

Mais je ne sais pas s’il était arrivé à l’abandonner comme quelqu’un qui se serait sacrifié totalement à Dieu, quand il l’a revêtu de la tenue de combat. Si c’est le cas, pourquoi quand il lui a mis et serré la ceinture de cuir qui était un souvenir du prophète, nous avons vu son dos se courber sous le poids de la souffrance ? Si c’était le cas, pourquoi quand il a posé le casque sur sa tête et arrangé ses cheveux, ses cheveux à lui ont blanchi ? Si c’était le cas, pourquoi tremblait-il quand il a accroché le sabre à son dos ? Si c’était le cas, pourquoi ses jambes ont elles fléchi quand il a aidé son fils à me monter et quand son fils s’est appuyé sur son épaule ? Pourquoi ses jambes ont elles tremblé et pourquoi s’est-il appuyé sur moi pour rester debout ? Quelle est cette relation qui faisait qu’ils s’encourageaient mutuellement et perdaient courage mutuellement, qu’ils s’approchaient et se quittaient en même temps ? Quelle est cette relation qui les enflammait et les calmait à la fois quand ils se regardaient. Je ne sais pas, c’était peut-être ce qu’avait dit Hossein. Peut-être que Hossein s’était vraiment résigné à le perdre. J’étais là debout, quand son père a dit à Ali Akbar : « Marche devant moi que je te regarde ». Il s’est mit à marcher, que dis-je ? Est-ce que tu as vu la lune se déplacer dans le ciel ? Comment dire ? Le comparer à un paon serait insuffisant. Imagine toi un cyprès qui pourrait marcher mais avec prestance et grandeur.

Hossein a levé la tête au ciel et a déclaré : « Mon Dieu, sois témoin que j’envoie au combat celui dont le visage, le comportement et le caractère ressemblent le plus à ton prophète, même dans sa façon de marcher. Tu es témoin, mon Dieu, que quand le prophète nous manquait, quand nos cœurs brulaient d’amour pour lui, c’est lui que nous regardions, nous regardions ce jeune qui actuellement, marche devant Toi et avance vers le champ de bataille sous Ton regard ».

Mais je ne pense pas que Hossein avait réussi à se résigner à cette séparation. J’ai une raison très forte pour penser cela et pour prouver ce grand attachement. Mais comment puis-je parler quand je vois que tu te tourmentes de cette façon ?

Leila ! si tu ne te calmes pas, je te cacherai la suite de ce récit et tu ne pourras pas non plus la voir dans mon regard.

Calme toi Leila ! Je ne t’ai encore rien dit sur l’amour qui liait ces deux cœurs
 
sixième partie

J’étais avec Ali face à une armée d’ennemis. Devant nous, une étendue d’armes et de soldats à cheval. Je ne sais pas combien ils étaient. Ils étaient si nombreux qu’on n’en voyait pas la fin. On aurait dit que la fin de l’armée était à l’horizon et encore sans compter les fantassins. Je n’avais jamais vu autant de soldats de ma vie, autant de casques et autant de boucliers. Tout ce fer et cet acier faisaient mal aux yeux. Je voyais cela mais mon maitre avait sans doute les yeux autre part, sinon il aurait dû prendre peur, hésiter, trembler ou du moins attendre. Mais ce n’était pas le cas, il m’a ordonné de tourner en rond et s’est adressé à l’ennemi avec une telle grandeur et une telle force, que j’ai eu peur de lui.

D’après mes souvenirs, il a dit : « C’est moi, Ali, le fils de Hossein ibn Ali ! Je jure sur la Maison de Dieu, que c’est nous qui sommes les porte-drapeaux de la Wilayat ! Je jure par Dieu que ces ennemi et ces bâtards ne peuvent pas nous diriger ! Je suis là pour défendre mon père par mon glaive et me battre comme doit le faire un jeune de la famille de Quraich ».

Ce furent ses propos à l’ennemi, mais ce n’est pas ce qu’on dit qui compte mais la façon de le dire et le pouvoir qu’il avait de suspendre le souffle de l’ennemi.

Peu à peu, j’ai repris confiance et force. Je courais, frappais les sabots sur le sol et tournais d’une façon qui effrayait tous les chevaux de l’ennemi. Mais je ne comprenais pas pourquoi Hossein était partout dans cet ouragan et cette tempête. J’ai entendu mon maitre répéter le verset :«فَاَیْنَما تَوَلّوُ فَثَّم وَجْهُ الله», partout où tu regardes, la face de Dieu est devant toi.

Nous tournions et Ali s’adressait aux ennemis sans qu’aucun n’ose avancer. J’ai entendu ensuite que des rumeurs ont couru au sein de l’armée ennemie. Tous les commandants auxquels s’adressait Ibn Saad trouvaient des prétextes pour ne pas bouger. Aucun de ces « courageux » soldats n’était prêt à se lancer sur le champ de bataille.

Ibn Saad, a été obligé de recourir à Tariq ibn Tabit, réputé pour son audace et son manque de perspicacité. Ibn Saad lui a dit d’aller au combat et d’en finir avec ce jeune, et qu’en échange, il le nommerait gouverneur de Mossoul. Tariq fut surpris par cet ordre inattendu et chercha une réponse pour y échapper. Il resta quelques instants les yeux fixé sur Ibn Saad et pour finir lui dit ce qu’il pensait : « Tu ne feras pas ce que tu as promis Ibn Saad, en me demandant de combattre celui qui ressemble le plus au prophète, tu m’envoies à la mort ». Ibn Saad essaya de le convaincre en lui faisant des promesses auxquelles Tariq ne crut pas. « Ajoute Mossoul à Rey et gouverne sur les deux régions toi-même, à moins que tu aies peur ! Je te l’ai dit au début, il y a deux personnes avec lesquelles je ne combattrai pas, Abbas et Ali ibn Hossein », dit-il.

Ibn Saad s’énerve, s’il abandonne, vers qui devra-t-il se tourner pour que les choses avancent ?

« C’est un ordre et un ordre de ma part est un ordre de l’émir des croyants, Yazid fils de Mu’awiya », cria-t-il.



Avec un ricanement, Tariq lui dit :

Ne joue pas à l’émir des croyants. Tu sais bien que c’est un titre que nous avons-nous-mêmes donné à Yazid ! Je ne vais quand même pas me leurrer moi-même !

Tariq ne complique pas ta situation ! Vas-y !

Tu sais bien que les supplications ont une plus grande influence sur moi que les ordres.

Je t’en prie Tariq, ce jeune va détruire le moral de l’armée !

Très bien, comment puis-je être sûr de ta promesse ?



Ibn Saad avec colère, a tiré la bague qu’il avait au doigt et l’a mise au doigt de Tariq.

Voilà la garantie de ma promesse ! Je jure pas ce qu’il y a de plus sacré que je respecterai ma promesse ! Vas-y et règle lui son compte !



Je ne savais pas cela à ce moment c’est après que le l’ai appris. Après des virages et de longues attentes qui m’avaient fait transpirer et m’avaient donné très soif, j’ai vu Tariq ben Tabit se lancer tout à coup, sur le champ de bataille. Il était évident qu’il cherchait à nous prendre par surprise. Il s’est élancé comme une flèche et nous a attaqués. J’ai eu très peur surtout quand j’ai senti que mon maitre ne bougeait pas et ne me faisait pas non plus avancer. J’ai pensé qu’il avait sans doute été surpris et qu’il fallait que je fasse quelque chose pour l’éloigner et le protéger. Mais il était trop tard, vraiment trop tard. Il aurait fallu agir avant l’arrivée de l’ennemi. Tariq est passé comme l’éclair près de nous, j’ai seulement senti que mon maitre s’est penché un peu à droite et s’est ensuite redressé. Quand il a tiré sur les rennes, j’ai vu que sa lance s’était plantée dans la poitrine de Tariq et était ressortie de l’autre côté dans son dos. On aurait dit que Tariq n’avait même pas eu le temps de mourir. Son cheval continua à courir jusqu’à ce que Tariq s’écrase au sol. J’ai entendu dire que des cris ont retenti au sein de l’armée ennemie après l’exploit de mon maitre. Le fils de Tariq, fou de rage à la vue de cette mort soudaine et humiliante, s’est lancé sur le champ de bataille comme un lapin, les yeux fermés, se lancerait contre un lion. J’ai vu aussi une partie de l’armée ennemie se lancer sur le champ de bataille, les chevaux et les cavaliers galopaient vers nous, qui étions toujours débout à la même place.

La tête de son cheval a frôlé ma tête et il ne nous avait pas encore dépassé quand la tête de son maitre est tombée devant moi. J’ai pensé tout à coup, que mon maitre attendait debout avec son épée, prêt à couper la tête du fils de Tariq quand il passerait. Le cheval de l’ennemi était complètement déboussolé avec ce cavalier décapité, et je ne savais pas pourquoi personne n’osait venir récupérer les dépouilles de ce père et de ce fils.

La victime suivante fut Talhe, un autre fils de Tariq, que mon maitre a aussi abattu très vite. Puis Mesra’ ben Ghaleb est venu. Comme son visage m’était familier. Si le temps me l’avait permis, j’aurais demandé à son cheval où je l’avais vu auparavant, mais je n’en ai pas eu le temps car l’épée de mon maitre les a coupés en deux. La mort soudaine de Mesra’ était incroyable. Je ne pense pas que Mesra’ lui-même, s’est rendu compte de ce qui lui arrivait.

La peur de la mort s’est étendue comme une ombre sur l’armée ennemie qui ressemblait à un mourant qui retient son souffle. Ce n’était pas seulement le nombre des tués qui faisait peur à l’ennemi, mais plutôt leur façon de mourir. Aucun d’entre eux n’avait eu le temps de combattre. « Cet ennemi » pensaient-ils, « ne perd pas son temps dans des mouvements inutiles ».

C’était un combat entre un aigle et un petit renard. Un aigle ne dépense pas beaucoup d’énergie pour attraper un petit renard, il plonge et l’attrape. Or ce n’est pas le plus important, le plus important était les regards que s’échangeaient ce père et ce fils, les félicitations du père à son fils et ses regards admirateurs. Ce qui compte était le sourire qui se posait comme un parfum, sur le visage du père et les prières du père pour son fils.

Je me suis dit alors que si cela continuait, les ennemis seraient tous tués ou se sauveraient. Aucun ne survivrait à un tel combat avec mon maitre. Mais tout à coup, j’ai vu le visage de l’Imam pâlir et son regard inquiet nous suivre, moi et Ali Akbar. Nous étions dos à l’ennemi et face à l’Imam, quand nous avons vu deux armées de mille hommes avancer vers nous.

Ibn Saad qui avait compris que des combats de ce genre n’aboutiraient à rien, avait lancé 2000 soldats dirigés par Mohkam ben Tafil et Ibn Novafel. C’est ensuite que j’ai appris combien ils étaient mais à ce moment-là, j’ai senti que je devais aider mon courageux maitre comme le feraient 2000 chevaux.

Pendant tout le combat avec cette armée de 2000 hommes, je me demandais si mon maitre était fatigué ou avait soif. Il combattait avec une force inouïe malgré les difficultés. Sans cela qu’aurait-il fait aux ennemis ? J’ai compté jusqu’à 180 puis j’ai perdu le compte car je devais sauter au-dessus des corps pour faire avancer mon maitre. La terre était couverte de sang, une boue mêlée de sang couvrait mes pattes et mes flancs. Mon maitre tournait, priait et frappait de son épée, tout en jetant parfois un regard à son père. C’est dans ce regard qu’il trouvait la force de résister.

Le combat s’est un peu calmé suivi d’un arrêt provisoire des combats. Ce genre de trêve arrive souvent dans les guerres pour donner le temps de ramasser les dépouilles et d’aider les blessés. Une trêve pour reprendre des forces en quelque sorte, pour réorganiser les troupes, et pour Ali, l’occasion de retrouver son père.
 
Septième partie

Quelles retrouvailles ! Celles d’un fils blessé, couvert de sang et les lèvres sèches, et d’un père pour qui son fils était tout dans ce monde.

Mon courageux et héroïque maitre est descendu pour embrasser les pieds de son père venu à sa rencontre. L’Imam aussi est descendu de son cheval, a pris son fils en dessous des bras, la redressé et l’a pris dans ses bras. J’ai eu l’impression que l’Imam cherchait un prétexte pour prendre cet enfant chéri dans ses bras, comme il le faisait quand il était enfant.

Ali n’avait pas moins que son père, besoin de cette embrassade. Il était comme un assoiffé qui avait trouvé une source qu’il ne pouvait pas quitter.

J’ai entendu qu’il parlait avec son père de la soif et de l’eau.

Je fus pris d’un immense étonnement.

Je ne veux pas dire que la soif n’existait pas ou qu’Ali Akbar n’avait pas soif. La soif était présente et envahissait nos corps avec toute sa cruauté. Aujourd’hui après cet évènement, je peux te dire Leila, que mon corps assoiffé brulait. Je suis un cheval et le désert connait ma résistance, mais ce jour-là ma bouche écumait à cause de la soif.

Il y a une sorte de soif qui eut être étanchée par de l’eau sur les lèvres et dans la bouche.

Il y a une soif qui peut être étanchée avec deux gorgées d’eau.

Mais il y a une soif qui brule le cœur, les veines et les entrailles.

Dans ce cas, tu penses que toutes les rivières du monde ne pourront pas étancher ta soif. Dans ce cas, tu ne peux penser à rien d’autre qu’à l’eau, tu vois des mirages partout et entend le bruit de l’eau partout. A ce moment, rien n’a de valeur à part l’eau. Ni la vie, ni la foi… mais non…c’est exactement ce qui fait la valeur des gens présents à Karbala.

L’ennemi avait fait de bons calculs. Dans ce désert où le soleil touche la terre, où la chaleur tombe du ciel, où la terre brule, la soif fait basculer les plus forts et affaiblit les plus fortes volontés.

La soif affaiblit les fois les plus fortes. Mais il y a une chose que l’ennemi n’avait pas compris, c’était que la nature de cette foi et de cette volonté était différente. Il s’agissait de l’Imam et d’Ali Akbar. Les petites filles aussi, qui se couchaient le jour d’avant sur l’endroit mouillé des outres, elles non plus ne pliaient pas, ne parlaient pas de se soumettre ni ne se sentaient faibles.

Zeinab dans toutes sa vie, n’avait jamais marché autant qu’à Karbala, sans jamais parler de sa soif, sans dire un mot à ce sujet.

A part Zeinab, aucune femme n’aurait pu supporter cette chaleur sous ce Hijab parfait et ce soleil brulant.

Cette femme a tellement marché, tellement couru, tellement pleuré, tellement crié, a porté les cadavres sur son dos, calmé les enfants dans ses bras, trébuché, est montée, est descendue, et tout cela sans broncher. Quelle grandeur, quelle fierté, quelle force, quelle dignité !

En bref, Leila, chaque fois que je pense à cette femme je me sens tout petit et j’envie la terre où elle a mis les pieds, c’est une terre qui exige le plus grand respect.

Je parlais de la soif, la soif qui régnait était la pire qu’on puisse imaginer. Mais mon maitre n’était pas quelqu’un qui allait se plaindre de la soif auprès de son père. J’ai pensé qu’il demanderait peut-être un miracle, cela était déjà arrivé. Une fois, il avait demandé à son père du raison alors que ce n’était pas la saison, et son père avait tendu la main vers le ciel et cueilli une grappe de raisin qu’il a donnée à son fils tout joyeux. J’ai vu ce raisin de mes propres yeux et j’en ai mangé. Toi aussi tu en as mangé d’ailleurs, il était couvert de rosée comme si on venait de le cueillir.

J’ai pensé qu’Ali Akbar, connaissant les pouvoirs de son père et ayant vu ses miracles, demanderait que son père lève la main au ciel… le bassin de Kossar n’appartenait-il pas au père et à la mère de son père ? peut-être……

Mais je me suis écrié qu’une telle demande était impossible de la part du fils d’un Imam. Quand le père, les enfants, les filles et les femmes ne disent rien, comment pourrait-il demander de l’eau pour lui-même ?

Je me suis approché, la tête et les oreilles entre ces deux êtres chers. Je me disais que si je comprenais ce secret, j’aurais compris ce qui se passait à Karbala. J’ai vu qu’entre eux, il existait un autre monde, un monde inaccessible à la raison et bien sûr aux chevaux. Un monde qui n’était pas le monde de la raison mais le monde de l’amour dans sa plus grande pureté.

Ali a dit à l’Imam : « Cher père, la soif est en train de me tuer ». Mais de quelle soif s’agissait-il ? la question était celle de l’union, de la rencontre, de la séparation, de ces lourdes heures, de ces lents instants et de ce temps paralysé. Son esprit était auprès de Dieu, il ne faisait qu’un avec Dieu, et son corps ne supportait pas la distance qui le séparait encore de l’Aimé, ni ce lien qui n’était pas un lien terrestre mais un lien divin et qui le retenait et rendait difficile le départ et la séparation.

Ali se battait mais avait les yeux fixés sur son père. Il ne maniait pas l’épée mais l’éclat du regard de son père. Que savait-il des blessures ? Que représentait la lance par rapport au battement de ces paupières ? Que représentait le champ de bataille par rapport à ce regard qui se déplaçait avec le trône céleste ?

Il s’agissait bien de cette relation que personne ne pouvait comprendre. Tu te souviens Leila ? Un soir j’ai dit que je pensais que l’Imam n’avait pas accepté cette séparation. Il disait aux autres de l’accepter et de le laisser partir mais il ne l’avait pas encore acceptée lui-même. C’est là où mes doutes se sont renforcés.

Si Ali avait combattu et avait été blessé sans tomber, s’il avait approché le martyre mais était revenu, s’il avait tué autant d’ennemi sans être tué, s’il avait perdu autant de sang sans tomber, c’est à cause de ce lien qui existait encore des deux côtés.

Est-il possible qu’un cœur auquel un père non ! un Imam est encore attaché, disparaisse ? L’ange de la mort peut-il emporter un cœur qui est entre les mains de l’Imam ? Cela est impossible et c’est pour cela que ce n’était pas arrivé. Mais à cet instant, ils voulaient tous les deux cette séparation. L’Imam pour consoler Ali, pour l’encourager ou du moins l’aider à supporter cette séparation, a dit : « Mon fils, mon cher fils, lumière de mes yeux, la source du prophète est à deux pas. Abandonne cette source (terrestre) ! Il disait cela pour aider Ali mais qui allait aider Hossein à se séparer d’Ali ? Quelles paroles étaient capables de lui faire accepter ou du moins supporter cette séparation sinon lui-même et ses propres paroles ? « et je vous rejoindrai vite », dit-il. Ce fut comme de l’eau sur le feu ! Ils se calmèrent tous les deux. Mais il restait une chose sans laquelle, les choses ne prendraient pas fin et sans laquelle le martyre ne se réaliserait pas, c’est à dire le baiser d’adieu. Tous les deux le désiraient mais n’osaient pas faire un pas. Le besoin et l’attente, l’attente et le besoin. Le tremblement des lèvres et des joues. La convergence des regards et le trouble de la vue. Pour finir, ce fut le père qui ouvrit les bras et embrassa Ali sur les lèvres. Le temps était comme suspendu, un calme spécial s’était étendu sur la terre. Aucun bruit, aucun vent. Aucun mouvement dans la création. Je me suis évanoui face à cette chose que je n’avais jamais vue de ma vie et je n’ai plus rien compris.
 
Huitième partie

Ali était devenu plus léger. Moi qui le portais, je sentais cette légèreté. Avant cela, j’avais l’impression qu’Ali était sur mon dos avec une série de chaines et le poids d’une montagne. Ce n’était pas difficile car tout ce que je faisais pour Ali me semblait facile, mais à ce moment-là c’était différent. J’avais l’impression qu’un oiseau était sur mon dos, un oiseau sans poids et léger. Il m’a dit : « Tourne ! » C’est ce que j’attendais. Il a commencé à murmurer doucement cette phrase qui s’est peu à peu transformée en chant de guerre : « L’univers et le temps sont prêts au combat, les voiles se sont levés et la vérité est apparue. Venez, venez et sachez que je n’ai pas appris à faire marche arrière. Tant que vous serez là pourquoi l’épée resterait-elle dans le fourreau ? »

C’est ce qu’il disait mais je sentais qu’il n’était pas venu pour combattre. Il était venu pour être tué. Ils avaient ramassé leurs cadavres, mais le sang couvrait le champ de bataille, le sang giclait des plaques de sang coagulé quand je marchais dessus. Le soleil était à son zénith juste au milieu au-dessus du champ de bataille. La chaleur brulait les yeux, la bouche et le nez étaient desséchés par la soif. J’avais l’impression que le sang circulait difficilement dans mes veines. Mais à mon avis, Ali n’avait plus soif, un cheval doit comprendre l’état de son cavalier sinon il n’est pas un bon cheval. La soif n’avait plus de sens après la source que sa bouche avait touchée, après la coupe que ses lèvres avaient approchée et ce qu’il y avait bu. Il ressentait une joie et une allégresse indescriptibles. Il n’était plus celui qui était entré sur le champ de bataille la première fois. Il s’agissait maintenant d’une fête et non d’un combat, d’une embrassade et non d’une bataille, d’un jeu d’amour et non d’un conflit. Son enthousiasme me faisait tourner et tourner encore. Son épée tournait dans l’air mais personne dans le camp ennemi, n’osait se porter volontaire pour le combattre. Les armées qui étaient venues pour l’encercler, reculaient quand il approchait. Si avant cela, il jetait des regards à son père, il évitait maintenant que leurs regards se croisent. Hossein qui ne faisait qu’un avec lui, ne le quittait pas des yeux.

Nous avons couru et tourné, mon maitre les appelant au combat sans que personne n’ose venir combattre ou se faire tuer. La patience de mon maitre a pris fin, alors qu’il laissait toujours son concurrent décider, cette fois-ci, il m’a fait galoper et faisant tourner son épée, faisait tomber les têtes et les cadavres. L’armée s’est éloignée nous laissant seuls au milieu du champ de bataille, entourés de cadavres, de têtes coupées, d’épées, de casques, de boucliers et de chevaux blessés. Des chevaux se sont sauvés, les chevaux en général n’aiment pas le champ de bataille. Un cheval qui n’est pas habitué au sang, au bruit des épées et à la guerre, et n’a fait que se promener dans les marchés et porter les provisions, ne peut pas supporter cela.

Je connaissais quelques-uns de ces chevaux qui servaient davantage à amuser les enfants qu’au combat. Ces chevaux s’éloignaient du champ de bataille ou n’avançaient pas, même si leur pauvre maitre voulait se battre.

Tout était vide devant nous, et c’est ce qui m’a fait peur. Ce silence soudain, après ce combat, n’annonçait rien de bon.

Tout à coup nous avons été la cible d’une pluie de flèches, j’ai compris ce que signifiait ce silence inattendu.

Comment pouvais-je savoir si mon maitre avait été touché par une de ces flèches ?

j’ai seulement senti les rennes se relâcher me laissant aller où je voulais. Mon maitre s’était couché sur moi et me tenais par le cou pour ne pas tomber. En sentant les flèches qui me touchaient, je me suis rendu compte du nombre de flèches qui avaient touché mon maitre dont une dans le cou, qui lui avait été fatale. Si seulement cette flèche m’était rentrée dans le ventre m’épargnant de voir mon maitre courbé ainsi sur mon dos, au milieu des vautours qui avaient commencé à nous attaquer.

Tu as vu Leila quand un dattier tombe, les enfants déçus l’entourent, lui cassent les branches et lui arrachent les feuilles.

Ne me supplie pas Leila ! je ne parlerai jamais jusqu’à la fin des temps de ce qui est arrivé à ce moment-là.

Pourquoi m’essuyer les yeux avec ces mains tremblantes ?

Est-ce que tu penses que mes larmes vont finir un jour ?

Il faudrait d’ailleurs que quelqu’un sèche tes propres larmes que ta pudeur cache et empêche de couler.

Non Leila, même si Dieu me le demandait, tu n’entendras jamais de moi le récit de ce qui s’est passé à ce moment-là. Sache seulement que si le sang de ton fils ne m’avait pas aveuglé, je n’aurais jamais couru au milieu des ennemis.
 
Neuvième partie

Ce soir, tu dois faire preuve de plus de patience que les autres soirs.
Hier soir, quand tu t’es évanouie, je me suis dit que j’aurais dû mourir à Karbala et ne pas être obligé de te raconter ce douloureux récit. Si seulement tu n’avais pas été malade quand la caravane a quitté Médine. Tu serais venue à Karbala et je n’aurais pas été témoin de tes souffrances, je n’aurais pas vu ces cheveux blanchir, ces yeux se cerner et les rides envahir ce visage.
Ensuite je me suis demandé pourquoi lutter ainsi contre le destin. Pourquoi se plaindre de ce qui est arrivé ? Pourquoi vouloir échapper à la volonté de Dieu qui m’a gardé en vie pour cela ? Il faut obéir et accepter la volonté de Dieu comme l’a fait Hossein avec ferveur, à Karbala.
Si tu avais entendu ses plaintes près du cadavre de son fils, tu saurais combien il est difficile de se soumettre à la volonté divine.
« Mon fils, mon enfant ! lumière de mes yeux ! Ali Akbar ! mon enfants chéri ! toute ma vie ! », disait-il.
L’Imam essuyait de sa main tremblante le sang qui couvrait la tête, le visage, les lèvres et les dents d’Ali :
« Mon fils, tu es parti, tu t’es libéré des souffrances de ce monde et tu as laissé ton père tout seul et sans soutien »
Puis il s’est penché comme s’il avait trouvé un joyau, comme pour respirer le parfum d’une fleur, comme pour embrasser un nouveau-né. J’ai vu qu’il a approché ses lèvres des lèvres d’Ali, les épaules secouées de sanglots qui annonçaient le tremblement et la fin de l’univers.
J’ai entendu qu’il disait au milieu de ses pleurs : « Le monde sans toi ne vaut rien, que le monde disparaisse après toi ! ». j’ai vu que le corps d’Ali s’est calmé quand il a dit : « Mon cher enfant, sache que je ne vais pas tarder à te rejoindre ».
Ali s’est calmé après avoir franchi plusieurs fois la limite de ce monde et être revenu pour son père. Mais est-ce que son père n’avait pas accepté cette séparation pour qu’il ne se résigne pas ainsi à partir ?
J’ai vu de mes propres yeux son corps déchiqueté. Quand son esprit voulait quitter son corps, il s’est assis et a dit à son père qui courait vers lui rempli d’inquiétude : « Tu as dit vrai, père, voilà le prophète qui me prend dans ses bras, voilà la source d’amour d’Ali Akbar ! Voilà la rencontre tant attendue ! Voilà la coupe de Kossar ! La soif après cela n’a plus de sens ».
Le père s’est levé, comme si le poids d’une montagne de souffrances pesait sur ses épaules, comme s’il ne croyait pas encore ce qui s’était passé, sidéré, en pleurs, se demandant comment ils t’avaient tué et de quel droit, comment ces gens avaient-ils fait preuve de tant d’outrance devant Dieu, comment avaient-ils pu faire cela, te tuer n’était pas une chose facile, cela ressemblait au meurtre des prophètes, au meurtre des Amis de Dieu, comment avaient-ils pu renoncer à jamais au bonheur et à la profusion de leurs terres, priver à jamais leurs enfants et leurs petits enfants de la sérénité, et être condamnés à jamais, à pleurer et à souffrir ?
L’Imam continuait à murmurer et comme un oiseau blessé, avançait vers les tentes. Moi, je n’ai pas osé m’en approcher. Je n’avais pas de réponse à donner à Zeinab. Que devais-je dire à Sakina ? qu’aurais-je pu dire à Roqayeh si elle s’était attachée à mes pattes et me réclamait son frère ? Je suis resté à l’écart pour qu’ils ne voient pas ma crinière tachée de sang, pour ne pas être par mon dos ensanglanté et sans cavalier, l’annonce du martyre de mon maitre. Laisse l’Imam le leur annoncer par son dos courbé et ses yeux remplis de larmes. Lui qui est le symbole de la sérénité, il est mieux placé qu’un cheval sans cavalier pour le faire.
Je ne sais pas ce que l’Imam a dit et ce qu’il a fait. J’ai seulement vu un vieil homme s’appuyant sur son épée, avancer avec un groupe de jeunes de Bani Hashem, vers la dépouille de mon maitre. Si le corps n’avait pas été déchiqueté, pourquoi emmener tant de jeunes ? Deux auraient suffi pour soulever le corps. On aurait dit que l’Imam les avait emmenés pour que chacun amène une partie de la dépouille. Les jeunes de Bani Hashem ont toujours été des modèles de courage et de fierté. Je ne les avais jamais vus si fatigués et si bouleversés. Ce Coran déchiré et déchiqueté n’était pas réparable. Les jeunes faisaient de vains efforts pour porter le corps de façon à faire croire qu’il était intacte.
Je n’avais plus de raison de rester debout car le corps avançait sur les bras des jeunes de Bani Hashem et approchait des tentes. La lourdeur de cette annonce ne reposait plus sur moi mais sur les jeunes de Bani Hashem.
Quand ils ont déposé le corps d’Ali Akbar dans la tente des martyrs, j’ai vu Zeinab, se frappant le visage, accourir : « Ali, mon fils, lumière de mes yeux, partie de mon être ! »
Avant qu’on puisse l’en empêcher, elle s’est jetée sur le corps d’Ali Akbar en hurlant de douleur.
Même si elle n’avait pas nommé ainsi Ali Akbar, personne n’aurait cru qu’elle n’était pas sa mère.
Quand l’Imam est venu et lui a pris la main pour la relever, quand il l’a prise dans ses bras pour la consoler, l’ennemi a cru avec certitude, que c’était sa mère qu’on avait éloignée du corps de son enfant.
C’est pour cela que j’ai dit qu’il ne fallait pas t’inquiéter de ne pas être allée à Karbala.
Zeinab a été une vraie mère pour ton enfant. Chaque fois que je pense à Zeinab, c’est comme si je rencontrais Dieu. Zeinab n’est même pas sortie de la tente quand ses fils sont tombés en martyrs, pour ne pas que son frère ressente une dette envers elle. Je pensais que quand on ramènerait le corps, les enfants et les femmes seraient indifférentes à mes souffrances. Mais quand l’Imam les a éloignés du corps, ce fut mon tour de répondre de l’absence de cavalier et à Hossein de répondre de son dos courbé.
Sakinah qui s’occupait des enfants, n’avait pas entendu la nouvelle. Quand elle vit son père, effondré devant la tente, elle lui demanda la raison de son tourment et où était Ali Akbar.
Elle entendit cette réponse : « Il a été tué par ces mauvaises gens ! »
Sakinah se mit à crier et à se frapper la poitrine, elle voulut sortir de la tente mais l’Imam la prit dans ses bras, et lui a murmuré à l’oreille : « Sakinah, ma chère fille, fais preuve de patience, demande l’aide de Dieu ! »
Sakinah en sanglotant dit à son père : « Comment une fille dont le frère a été tué et dont le père n’a plus aucun soutien, peut-elle faire preuve de patience ? »
Son père la serrant plus fort dans ses bras, dit alors : « Nous venons tous de Dieu ma fille, et retournons à lui ».
Comme je le craignais, les filles, les femmes et les enfants se sont alors précipités vers moi, espérant une parole, un récit…. Un petit garçon dont j’ignore le nom et dont la taille n’arrivait pas à ma poitrine, sans dire un mot, s’est mis à frotter sur ses vêtements le sang qui me couvrait, en pleurant. Je ne sais pas pourquoi il faisait cela mais quand j’ai croisé son regard, j’ai compris qu’il ne me voyait pas mais voyait Ali Akbar.
Dans ses yeux, j’ai vu Ali Akbar, les habits couverts de poussière, le corps déchiqueté et en sang. C’était plus facile avec les adultes qu’avec les enfants. Roqayeh, la petite fille de l’Imam Hossein, avec ses trois ou quatre ans, pleurait et criait avec une douleur insoutenable. Elle tournait autour de moi en criant, en pleurant, en silence, et recommençait.
« Où es-tu Ali, où est notre frère, la lumière de nos yeux, notre espoir de survivre, où est mon frère qui me prenait dans ses bras, qui me regardait en riant, qui m’aidait à monter à cheval, qui me chatouillait avec sa barbe, dont j’arrangeais les cheveux, qui m’embrassait chaleureusement, qui me protégeait en me prenant dans ses bras ? ». Elle répétait cela sans cesse, provoquant les pleurs, et je me demandais où une si petite fille avait appris à parler ainsi.
Sakinah ne parlait pas d’elle, elle ne parlait que de son père, elle m’avait pris autour du cou et en pleurant d’une façon qui brisait le cœur, murmurait ces paroles : « Drapeau de mon père, soutien de mon père, espoir de mon père ! »
A mon avis, c’est Abbas qui a été le plus touché car il ne pleurait pas, les pleurs calment un peu, mais lui, s’empêchait de pleurer et retenait ses larmes et ses sanglots. Les problèmes augmentent quand les personnes doivent se consoler mutuellement. Comme le piquet d’une tente qui doit garder la tente debout au prix de se briser lui-même. Abbas essayait de consoler les enfants de sa sœur et de son frère, sans réussir à cause de l’immense douleur qui le remplissait lui-même et augmentait à chaque instant.
Peut-on laver une blessure avec ses larmes ou soigner une plaie avec un cœur brisé par la douleur ? Mais pendant tout ce temps, ce qui m’a fait le plus souffrir c’est qu’il ne m’a pas demandé ce que je faisais sans mon maitre et pourquoi j’étais resté en vie.
 
Dixième partie

Ce soir est le dernier soir de ma vie. Cette petite cour qui n’a de place que pour un cheval, sera encore plus vide demain, quand j’aurai posé ce lourd fardeau.

Demain, les critiques des gens finiront. Personne ne pourra plus dire que l’épouse de Hossein, la mère d’Ali Akbar est devenue folle, qu’elle reste des heures devant le cheval de son fils pour pleurer avec lui.

Ne pense que je ne comprends pas ces moqueries et ces allusions. Je ne suis qu’un cheval mais j’ai vécu au contact des meilleures créatures qui existent dans le monde. Tu sais quel statut avait le chien des Dormants. Je n’ai pas eu moins de chance que lui et on ne peut pas comparer le prophète, les Imams et leurs enfants, à ces jeunes, au début du chemin.

Il étaient au début d’une voie dont j’ai vu le but et la fin pendant 100 ans.

Je ne sais pas ce que ces jeunes et les compagnons de l’Imam avaient en commun. Peut-être l’innocence, la solitude, l’isolement, le manque de partisans, leur faible nombre face à une multitude d’athées et de polythéistes. Peut-être…

C’est peut-être pour cela que l’Imam récitait les versets de la sourate de la caverne du haut de la lance.

J’entends encore cette voix…..‌ اَمْ حَسِبْتَ اَنَّ اَصْحابَ الْکَهفِ وَ الَّرقیمِ کانُوا مِنْ ایاتِنا عَجَبا ... اِنَّهُمْ فِتیَةٌ آمَنوُا بِرَبِّهِمْ وَ زِدْناهُمْ هُدی ... Penses-tu que les gens de la Caverne et d'ar-Raquim ont constitué une chose extraordinaire d'entre Nos prodiges? Ce sont des jeunes gens qui croyaient en leur Seigneur; et Nous leurs avons accordé les plus grands moyens de se diriger.

Leila ! Si je suis capable de comprendre le Coran avec toute sa grandeur et de m’en souvenir, comment serais-je incapable de comprendre quelques insinuations et sous-entendus ?

Si un seul verset du Coran avait été révélé à la montagne, elle se serait effondrée, mais moi, j’ai vécu pendant 100 ans avec les manifestations vivantes du Coran.

J’ai porté le Coran sur mon dos, comment serais-je incapable de comprendre ce que disent les gens ?

De plus, il y a beaucoup de choses que nous comprenons et que les gens ne comprennent pas.

Qu’est-ce que les gens ont compris de l’événement d’hier ?

Ce passant à dos de chameau, en entendant les pleurs de Leila, est descendu et a demandé de quoi il s’agissait, et il a seulement compris que Leila, nuit et jour, pleurait la perte de son mari et de son fils. Rien de plus !

Mais ce n’est pas la réalité du récit. Je connaissais ce chameau. S’il ne s’était pas arrêté et mis à genoux devant la maison, son maitre comme les autres, serait passé devant la maison sans entendre tes pleurs que dominait le bruit du bazar et de la rue. Si le chameau était passé, son maitre n’aurait pas été obligé de s’arrêter et de poser cette question.

J’avais vu ce chameau à Karbala. Il était dans le camp des ennemis. Lors de la rencontre entre Omar Saad et l’Imam, il était venu près de moi et m’avait dit qu’il voulait se réfugier dans le camp de l’Imam.

Je lui ai dit que les enfants de l’Imam n’avaient aucun endroit pour se réfugier eux-mêmes : « Fais ce que tu peux ici », lui ai-je dit.

Hier, il m’a raconté ses exploits. Il n’avait laissé personne le monter. Quand Asbagh ben Cheish qui était un cavalier exceptionnel, a réussi à le monter, il l’avait jeté par terre puis s’était sauvé en écrasant sur son passage un grand nombre d’ennemis, et avait couru jusqu’à Médine.

Qui parmi ces gens qui se moquent de nos conversations, peut comprendre cela ?

Cela n’a aucune importance. L’important est que tu aies pu comprendre dans mes yeux, pendant ces quelques soirs, une petite partie de ce grand évènement.

Il reste encore beaucoup de choses à dire, mais je suis fatigué de vivre. Si tu avais vu ce que j’ai vu sur la route du retour, tu maudirais toute l’humanité. Le pire des animaux n’oserait pas faire ce qu’ils ont fait à ces femmes et ces enfants qui avaient perdu des êtres chers, donné des martyrs, qui avaient été frappés et giflés, qui avaient été faits prisonniers, et à ces orphelins.

Il ne serait pas étonnant de mourir à la vue de telles scènes. J’ai vraiment été très fort, après avoir vu toutes ces souffrances et ces malheurs, d’être resté en vie et d’avoir pu te parler.

Ce que nous avons dit et entendu, pendant ces quelques soirs, n’est qu’une petite partie de ce qui est arrivé. La pire des choses a été le martyre du maitre de ce jardins de fleurs déchiquetées.

Tu as des jours difficiles devant toi, Leila ! Ces quelques soirs n’étaient qu’un entrainement à la patience ! Il fallait que tu te prépares à entendre le pire, c’est-à-dire le récit des souffrances de ton cher Hossein !

C’est au-dessus de mes forces, Leila ! Je suis prêt à partir après ces journées passées dans la souffrance de la disparition de mon maitre.

Demande à Sadjad ce qui est arrivé à Hossein. Malgré sa maladie et anéanti par la fièvre, il se tenait debout derrière le rideau de la tente, en pleurs, devant ce qui se passait à Karbala…….


Fin du récit et eltemas do'a
 
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